Le chiot de Kafka -1

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Le Chiot de Kafka -1 (Roman)

– Krishna NAGARATHINAM

Prague, la république tchèque, samedi le 6avril 2013

La Question qu’elle se pose souvent est : Existent-t-elles des recherches sans objectif ou y a-t-il un être qui ne cherche rien ?

Il y a du monde à perte de vue. Tous, sans exception cherchent presque tous les jours quelque chose. Cette manœuvre de recherche ne se termine jamais, parce que le succès des retrouvailles peut générer de nouveaux objectifs.  L’objet qu’ils doivent retrouver ou finir par saisir, peut apporter le bonheur soit à la personne lui-même soit à ses proches. Cet objet d’ailleurs aurait dû se cacher quelque part afin de ne pas réduire le moindre intérêt de notre jeu de pioche. Ou peut-être comme un jouet d’un enfant peuvent-ils se trainer sous une table ou un meuble quelconque. Si c’est le cas, seule, l’enfant ne peut le trouver, il devrait être accompagné à sa recherche par ses parents. Dans tous les cas, il importe que l’enfant comme le jouet doivent avoir l’envie d’être retrouvé dans les bras de l’un de l’autre. La plupart du temps, l’objet qu’on recherche git en dehors de la zone de vue.  La recherche varie en fonction de l’âge, de la dignité du corps et de la capacité de la tête de la personne, qui s’engage. Peu importe de l’objet, vouloir de la recherche commence à partir du moment qu’on prête plus de crédit à la valeur de l’objet. Que le temps seul puisse nous faire savoir, si la retrouvaille de l’objet soit possible ou non.

Il était la fin du jour, elle s’était sentie lasse après une journée sans précédente. Elle était arrivée à Prague, capitale de Tchèque république, hier soir et avait pu trouver une chambre sans trop de peine au tarif avantageux dans un hôtel situé à proximité du centre-ville. Après quelques minutes de repos, elle s’était mis en œuvre son objectif du voyage. C’était de retrouver un homme qu’elle avait perdu, ça ne faisait pas longtemps. Elle ne pouvait pas retourner en France, sans lui. Suivant des renseignements qu’elle avait eus d’après un ami, plutôt un ami de Vaguissan, elle était allée à l’hôtel où il serait censé loger, mais sans succès.  C’était un hôtel de chaîne, elle avait dû donc visiter les autres, qui portaient le même enseigne. Une voix au fond d’elle, lui avait conseillé de changer la stratégie, elle cherchait donc, parmi tous les gens qui marchaient et couraient dans les rues, qui montent et descendent dans les bus, dans les trams, dans les bateaux-mouches, et parmi tous ceux qui entraient et sortaient des magasins, des restaurants.  Mais, jusqu’ici, il n’y avait rien qui puisse annoncer la levée du soleil.

À Paris, guidé par son esprit, elle pouvait se balader un peu partout, toute seule. Dans cette ville, malgré du monde autour d’elle, elle avait du sentiment d’être suivie par un monstre de crainte. D’où vient-il ? ou depuis quand existe-t-il, elle n’avait pas de réponse. Il est probable que, la poursuite de ce monstre, étrange mélange d’anxiété et de tristesse, aurait dû commencer lors et déjà à Paris. A dire vrai, elle ne devrait pas sortir du territoire français, elle a risqué son destin pour lui, la clé de son horizon, il faudra le retrouver. La chance lui avait pourtant montré le visage à Paris, elle ne l’a pas saisie, c’est dommage ! « On ne peut pas revenir là-dessus ! il me le faut, ne te laisse pas décourager. Cherche ! Tu l’auras » se dit-elle.

Elle regarde autour d’elle, il y a du monde, mais pas le moindre signe de celui qu’elle cherche. Il est difficile d’accepter son absence. Elle se sent les jambes lourdes et fatiguées. Depuis ce matin, elle n’a rien mangé, elle a faim et soif. Pressant fortement ses dents sur la lèvre inférieure, tout en mettant cette dernière à l’état plié vers l’intérieur, elle essaye de tromper la faim. Elle élargit son champ de vue. L’absence de Vaguissan la fait suivre tout ce qui fait figurer de lui ou donner ressemblance à ses traits. Elle ne voit personne qui ressemble à un homme de sous-continent indien, afin d’augmenter les battements du cœur et de la mettre en nage jusqu’aux os.

La journée qui est à bout de souffle, s’avance à pas de loup vers sa ligne de démarcation séparait lui de la nuit.  Les peuples locaux – ceux qui rentrent après travail, presque indisciplinés – marchent à grands pas, en se bousculant et en évitant d’autres qui croisent leur chemin. Certains entre eux plutôt courent, dira-t-on. Leur précipitation confirme qu’ils doivent prendre un bus ou un tramway sans tarder. En revanche, les visiteurs étrangers déambulent tranquillement tout en admirant tout ce qui leur attire. Quelques-uns s’arrêtent un peu devant le musée national pour prendre des photos. Un autre group, les touristes bien-sûr, descendent vers la place Venceslas. Ils auraient dû marcher, depuis un bon moment et qu’on a pu constater l’impact du soleil sur leur visage : les cornés sont sombres et les pupilles sont dilatées.

 La place Venceslas est recouverte d’une voile fine dorure, grâce à soleil et une partie de cette voile enjolive les corps des hommes, sur lesquels, cherche à souscrire le souffle du soir, par ses vagues. Un couple de colombes tente en vain de savourer les butins échappés aux mains des touristes. Sous un parasol, une jeune fille, habillée d’un T-shirt, portant une locution de ‘I love You’ qui vende de la glace, donne le sourire aux passants, tout en mettant de temps en temps en ordre sa robe ennuyée par la brise pourtant légère. Emportée, par une vague de foule, elle s’arrêta quelques secondes devant la statue de Saint Venceslas monté sur un cheval au galop. 

-S’il vous plaît ! nous voulons prendre une photo devant la statue, pourriez-vous le faire ?

Elle se tourna. Tout en souriant, un couple d’un certain âge, à l’allure chinoise, avec leurs grandes têtes, les yeux bridés, est devant elle. Un appareil photo de grandes marques, de dernière génération, tenu par le mari, est prêt à changer de mains. Poussant, un brin de cheveux de son oreille, elle a penché sa tête plus près du couple et dit : « avec plaisir ». Alors que, l’homme lui donnait une brève explication en anglais avec un léger accent chinois sur le fonctionnement de l’appareil, la dame, elle a mis du rouge à lèvres. Le couple lui sourit de nouveau et alla vers la statue, et s’y tint, sans oublier leur sourire aux lèvres. Comme on ne voulait pas déranger la séance de la photo, certains touristes, attendaient jusqu’à ce qu’elle soit prise fin. La prise de photo, comme si d’une réussite, le couple a exprimé leur vif contentement par les hochements répétitifs de leurs têtes.  Mais leur joie n’avait rien apporté en elle. Mais, elle les regarda une dernière fois, en signe de l’approbation et reprit son chemin de labyrinthe.

À peu près, 20 mètres de la statue de Venceslas, il y avait deux bustes de jeunes hommes, en marbre, couronnés et parsemés de roses. Elle s’arrêta, un instant. Un jeune couple qui était venu derrière alluma une bougie et l’y plaça, ensuite, pris une photo. Elle s’approcha des bustes pour les regarder au plus près, c’était une phrase en tchèque. La jeune fille du couple vint près d’elle et lui traduisait en anglais « ce sont des jeunes tchèques, qui ont sacrifiés leur vie pendant l’invasion de l’Union Soviétique ». Elle remercia avec gratitude du beau geste volontaire de la jeune fille et poursuivait son chemin. Sur les deux côtés de la place, elle ne voyait rien d’autres que les magasins de toutes sortes : des boutiques du terroir aux magasins de grandes marques, des magasins de pierres, de minéraux, de cristaux, des maroquineries, des boutiques de souvenirs, de vêtement de confection, le haut de gamme pour homme et femme, puis autant des fast-foods, des restaurant très divers. Mais aucun d’eux ne parvient à retenir son attention, sauf les gens, plus précisément les hommes de sous-continent indien. Elle continue à marcher à grandes enjambées comme si elle est emportée par le mystérieux joueur de flûte.

De nouveau, elle s’était retrouvée parmi un flot des touristes, venus de tous les horizons, de toutes sortes de personnes, de tous âges. Pencher la tête en arrière, presque, tous sans gêner par l’éblouissement du soleil, fixaient leurs yeux vers haut, sur une horloge astronomique. Elle suivait distraitement les touristes curieux comme un automate et se laissa surprendre par un spectacle magie. Il était 19h. Elle voyait une figurine de squelette sortait et brandissait un sablier. Ensuite, s’ouvraient deux fenêtres, suivi d’un défilé des apôtres en sortant de l’une et en disparaissant dans une autre. Enfin, pour conclure, un coq chanta. Sans afficher le moindre signe d’enthousiasme, face à ce spectacle paru se terminer avec quelques applaudissements et le bourdonnement de la foule qui se dispersaient, elle poursuivi sa mission.

Elle hésita un moment avant qu’elle continue. Soudain une jeune fille semblait à premier vu avoir un air suspect, s’approcha d’elle et lui demanda : avez-vous besoin de couronne de tchèque ? Elle lui hocha la tête de gauche à droite en signe de non. Mais, comme si elle ne voulait pas vraiment laisser la partir, tout en empêchant son avancée, la fille réitéra sa demande. Ayant compris l’intention de cette jeune intruse était plutôt de cibler son sac à main, elle la balaya aussitôt de la main et poursuivait son chemin. Mais elle avait eu le sentiment de refaire.Cet esprit de répétition ne se démentait pas tout au long de sa vie, notamment depuis qu’elle était toute petite.

Elle seule, dans ce quartier de baroques, qui n’était pas ensorcelée par la magie de la ville, passait son temps à fouiller parmi les touristes qui s’étaient s’assemblés autour des musées, des galeries d’art comme des essaims d’abeilles, à scruter dans les vagues des gens qui descendaient et montaient des transports en commun, à s’arrêter à toiser les jeunes hommes qu’elle croisait. Il arrivait même d’attendre parfois à l’entrée d’une boutique, d’un tabac, d’un fast-food en arpentant le trottoir afin de retrouver son objet perdu. Hier prenant un bateau de mouche, voyageant sur le fleuve Vltava pendant une heure, elle a pu pris un répit bien-mérité, et cela lui a permis de volatiliser la lassitude. En outre, lorsqu’elle continuait à admirer sur la rive du fleuve, les vieux bâtiments prédominés, le château, la cathédrale Saint-Guy, l’un après l’autre qui font plaisir à voir, elle a pu également apercevoir l’enseigne du musée de Franz Kafka.

Quand elle était partie de Paris, ni Kafka ni Kundera qu’elle n’avait dans la tête, c’étaient des images de Vaguissan, qui la menait par le bout de nez. À Paris, c’est arrivé une fois que, passer toute une nuit en discussion littéraire, pour elle, c’était une occasion d’entendre les noms comme Kafka. Ce matin, elle visita l’endroit où Kafka est né. Cette visite imprévue l’orienta vers des nouvelles pistes et lui donna envie d’explorer de nouveaux champs. Vaguissan disait qu’il voulait visiter la tombe d’écrivain et parler au moins avec son esprit. Alors elle se laissa emporter par les réminiscences de Vaguissan et celles de Kafka. Les empreintes de Kafka, ont-elles des réponses à mes énigmes ?- se dit-elle.

D’emblée, elle commença à marcher. Elle ne savait pas, combien de temps qu’elle avait mis pour arriver là, devant ce cimetière, plus précisément en face du portail qui avait été légèrement ouvert. Elle voulait entrer, mais en a-t-elle le droit à cette heure-ci ? La philosophie de raison ne marchait plus en elle depuis certains quelques jours. De toute façon, ce n’est pas le moment de faire marche arrière. Alors qu’elle franchit le portail, ce dernier somme s’il voulait lui obéir, s’ouvra légèrement tout en envoyant un froid glacial dans le dos par un grincement. Ceux qui l’avaient accompagnée jusqu’ici : parfum de la ville de Prague, chaleur de l’angoisse, brouhaha de la foule avaient disparu brusquement. Devant elle, tout ce qu’elle voit ce sont des tombes en sommeil profonde, dispersés, allongés dans leur lit de ténèbres, entourés par des arbres, des arbustes, et des plantes sauvages. Elle restait silencieuse quelques minutes face à l’attitude incompréhensible du moment. Je suis venue pour qui, je cherche qui ? Elle se demanda. Pourtant, elle était certaine jusqu’au portail du cimetière, sur son objet. Elle aida un ver luisant, collé sur ses cils à s’envoler, avant qu’elle tourne vers le portail. Soudain, elle entendait un aboiement d’un chien ou plutôt un chiot. Elle tourna la tête vers le bruit, il n’y avait rien autour d’elle sauf une obscurité froide. Elle ne vit ni chien ni chiot, pour affirmer cet aboiement. Au-delà d’un rocher d’obscurité, juste après quelques buissons, un verger des arbres s’était étendu jusqu’à un mur. La partie touffue des sourcils sur le côté du nez est descendue, tandis que celle sur le côté de la tempe est montée.Elle attendait quelques instants pour la sortie du chiot, de là, elle décida de l’affronter la bête s’il sort. Contre son attente, la tombe devant elle, commença à bouger. Cela lui fait trembler, le cœur battait rapidement. Elle décida de ne pas tourner le dos, marcha vers le portail. Une fois passé le choc, sa respiration ralentit. Elle progressa sans ambiguïté vers la direction d’où elle était venue, il y avait quelques minutes. À sa grande surprise, le chiot pour lequel elle attendait curieusement quelques minutes auparavant, courut lentement afin qu’elle puisse le suivre. Elle obéit à son maître esprit et par là au destin. Le vent est toujours glacial, malgré cela, elle sentait une chaleur insoutenable, elle enleva donc sa veste et la prise dans la main. Ignorant la bête qu’elle suivait, ainsi que l’expérience qu’elle avait subie, elle avança vers le pont en empruntant des ruelles et des rues. Les gens étaient moins nombreux, elle avait pu marcher à son rythme. L’odeur qui venait des restaurants serrait sa gorge. Elle était au cœur de la vieille ville, au quartier Mala strana. Cela fait maintenant quatre jours, depuis son arrivée dans cette ville romanesque, pourtant, ce n’était pas facile de retenir, les noms slaves.

Le pont de Charles était comme une corde tendue entre les deux rives de la Vltava. Elle était à l’entrée du pont devant le tour, alors que la nuit tombait. Le pont a été pris d’assaut par les touristes étrangères comme elle. Une partie de l’eau avait été déjà sous le couvert de l’obscurité. Le nez a pu dégager un agréable quoique relativement discret odeur de la nuit humide derrière un léger vent. Comme elle a préféré à ignorer la présence du tour, elle s’était engagée dans le pont. Après le tour, elle a pu remarquer quelques restaurants, où, assis comme s’ils trempaient leurs pieds dans l’eau, les touristes dînaient en couple. Promener sur le pont Charles à cette heure-ci est une expérience insolite. Les rives de côtés de la Vltava scintillaient en rayons jaune et oranges comme un collier de saphir, étiré le long de la rivière. Les bateaux-mouches lumineux, naviguaient tranquillement comme s’ils ne voulaient déranger ni le bruissement de l’eau, ni le brouhaha des gens. Enfin, pour améliorer la beauté du pont, évidemment, il y avait des chanteurs des rues, des artistes de jazz tout au long du pont. Notre fille a été arrêtée pendant un moment pour admirer les statues gothiques, inertes par ces spectacles perpétuels sur un fond noir luisant. Soudain, elle entendit une voix d’un homme d’un certain âge non loin d’elle, disait « pas là, regarde ta gauche ! », en montrant du doigt en direction de la rivière. En fixant la tête sur la direction du doigt de son compagnon, une femme répondait, « Yes, yes ! now I see. » Pour notre jeune file, ‘ce sont des choses, qui peuvent se produire en général chez les touristes. Mais, contrairement, ce qu’elle y avait pensé, elle voyait qu’une rapide augmentation des gens curieux autour du couple anglophone. D’ailleurs, tout le regard posait sur la même direction. Poussée par cette curiosité contagieuse, notre jeune fille courut vers le garde-corps du pont.

Il y a des cris et de la confusion dans un bateau-mouche. On peut constater que deux hommes ont été sauté dans la rivière. Entretemps, deux véhicules écrits à leurs côtés comme, ‘hasic, sanika ‘ sont venus avec le son d’une sirène des pompiers et s’arrêtent brusquement au bord.

Elle demanda de quoi s’agit-il ? « Sais pas, je suis comme vous viens d’arriver » a-t-il dit. « Quelqu’un est tombé dans l’eau », une autre personne intervenue pour lui expliquer.
– Alors ?
– Alors quoi, ils cherchent le pauvre dans l’eau, répondit-il avec un ton un peu agacé.

          Le mobile sonna, elle a collé à l’oreille. A l’autre bout, c’est Barathi son amie de toujours.

          – Nithila, tu es où ?

          – A ton avis ? Prague bien-sûr . Comment   va-t-il mon fils ?

          – ne t’inquiète pas pour lui, il va bien. Ta sœur veut te parler.

          – Mais, qu’est-ce qui t’arrive, Nithila ! A qui je peux répondre , à mon mari ou à nos gens. Rentre vite en France !,

c’était sa sœur. Si elle la  laisse parler, elle n’arrêtera pas, elle savait. Elle restait muette, pour qu’elle s’arrête.  Quand elle a pu entendre, la respiration de l’autre bout, c’était celle de son amie.

– Ma sœur, elle est toujours là.

– Oui !

– Fais la calmer et dis-lui, je rentre en France demain.

– Comment ça s’est passé ton voyage, est-il utile ?

– Rien pour l’instant, mais je ne me laisse pas décourager. Ben, est-ce qu’il y a d’autres nouvelles.

– Oui, l’avocate a essayé de te joindre, elle veut te voir sans tarder.

–   Dis-lui, que je viens la voir dans deux jours.

Le téléphone s’éteint. Elle a vu sa montre, il était neuf heures du soir. Il lui faudra au moins une heure pour arriver à l’hôtel. Elle a décidé de rentrer en France demain. Le fleuve Vletava était en sommeil profond, sous l’abri du claire de lune Quand elle est sortie par le côté nord du pont, il y avait toujours quelques monde au bord de la rivière où l’ incident s’est produit, quelques minutes plutôt. Parmi la foule, elle a pu voir  un couple de certain âge, en outre le vieux monsieur ressemblait à un sadhu indien. Le chiot qui l’a accompagnée, du cimetière au pont Charles était également présent avec la foule. Sans une raison valable, elle continua de le regarder, jusqu’ elle s’engage sur le chemin qui l’emmène vers la gare du métro.  Le même chiot ou quelqu’un d’autre ou tout simplement mon imagination se demanda-t-elle.     

                                                

A suivre…….

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Les Indiens et l’argent : une grande histoire d’amour – Sophie Collet

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(Courrier International.com (Courrier expat) le 17 octobre 2022- Écrit par Sophie Collet,Catégorie : Actualité du C.I.D.I.F Publication : 18 octobre 2022)

Si l’Inde rime pour vous avec une forme de retour à l’essentiel, d’éveil spirituel détaché de possessions matérielles, je crois que vous allez devoir réviser votre jugement.

Dans l’imaginaire français – et occidental –, les Indiens sont vus comme des êtres empreints de spiritualité, indifférents aux considérations terrestres. Revêtus d’étoffes chatoyantes qui tranchent avec l’air poussiéreux de la rue, ils partagent toujours le peu qu’ils détiennent et vous offrent du thé aux épices dans une ambiance de retour à l’essentiel pleine d’authenticité et fleurant bon l’encens.

Des hippies au matérialisme

Avouez, je n’ai pas complètement tort. Si ? Le rayonnement mondial du Mahatma Gandhi et son éloge de la sobriété bien avant l’heure ont sans doute joué un rôle clé dans cette perception idéalisée de l’Inde à l’étranger. Plus tard, la vague baba cool des années 1970, les routes de l’opium dans l’Himalaya, les communautés hippies de Goa, sans oublier Rishikesh, où les Beatles avaient rejoint leur gourou de méditation transcendantale, ont renforcé le cliché. Et maintenant, la mode du yoga le consolide sans doute à son tour.

Je vais donc peut-être vous décevoir avec cet article. Car si la générosité envers les membres de la famille ou les invités ne relève pas que de la légende et si les religions font bel et bien partie du quotidien, en revanche la quête de la réussite financière, et au-delà, le matérialisme, me semblent bien plus prégnants en Inde qu’en Europe. En tout cas indéniablement dans les grandes villes.

Taux d’intérêt et fonds de placement

Et avant d’en gagner, les Indiens adorent parler d’argent. Combien coûtent les oignons, les mangues, l’or, le mètre carré à Bombay ? Des heures de conversation en perspective. Et il n’est pas nécessaire d’avoir des amis banquiers pour s’entretenir des taux d’intérêt, s’échanger des conseils sur les fonds communs de placement ou sur les entreprises cotées en Bourses. Des étudiants aux femmes au foyer, tout le monde à son avis sur la question. Personnellement, si ma culture financière est encore au ras des pâquerettes, je n’ai aucune excuse. Il faut croire que mon cerveau reste tout bonnement imperméable au stock market.

De plus, en Inde, on questionne encore très peu l’impact de l’activité économique ou de la consommation sur la société et sur la planète. Alors qu’en France les gens de mon entourage cherchent du sens dans leur vie professionnelle, les Indiens que je côtoie veulent pour la plupart, tout simplement… gagner de l’argent. Que leur travail empiète sur leur vie personnelle, que leur activité repose sur une main-d’œuvre sous-payée ou que leurs achats encouragent des industries polluantes reste pour eux tout à fait secondaire, voire dénié.

Au diable la discrétion !

Vous vous dites sans doute : mais quelle bande de goujats ! C’est là que je culpabilise un chouïa. Dans mon désir de vous décrire une culture, et donc un point de vue collectif, je généralise nécessairement un peu. Vous trouverez bien sûr des ONG qui luttent contre la pauvreté ou la préservation de la nature, des groupes industriels comme Tata, Birla ou Wipro dotés de grandes fondations qui œuvrent pour le bien commun et plein de femmes et d’hommes au grand cœur.

Ces précautions étant prises, lorsque la réussite est au rendez-vous, au diable la discrétion ! Il faut fièrement afficher son succès. Pour les plus privilégiés, par ici les montres coûteuses, parfums chers, voitures de luxe, vols en classes affaires et autres bagues en diamant. Et quel que soit le milieu social, les réceptions de mariage devront être les plus fastueuses possibles. La mariée croulera sous ses bijoux en or et le buffet sera plus qu’abondamment garni, parfois au prix d’un endettement sur des années.

Des Indiens fiers de leurs milliardaires

Tous ces signes ostentatoires de richesse n’ont qu’un seul but : s’attirer le respect de sa communauté, voire de la société tout entière. Ce qui m’a toujours paru extrêmement surprenant en Inde, c’est à quel point les riches suscitent la déférence. Ils ne sont pas cibles de violence ou d’animosité et ne déclenchent même pas de moqueries, alors que les inégalités économiques restent énormes. Les Indiens sont fiers de leurs milliardaires, comme Gautam Adani, qui est devenu cette année la 4e fortune mondiale au classement Forbes, ou Mukesh Ambani (voir photo) qui occupe la 8e place.

Cet état d’esprit est-il dû à l’irruption du capitalisme dans l’économie indienne ? Je ne serais pas capable de vous livrer une comparaison pré- et post-libéralisation de 1991. Je n’ai pas connu l’Inde socialiste et j’imagine que la manière de dépenser et de montrer y était très différente. Cependant, je suis tout de même convaincue que le rapport à l’argent, lui, répondait aux mêmes mécanismes qu’aujourd’hui, car ces mécanismes sont ancrés dans la culture, la philosophie et la religion, bien antérieurement au socialisme ou au capitalisme.

Spiritualité et volonté d’enrichissement

En réalité, il n’existe en effet en Inde aucune contradiction entre spiritualité et volonté d’enrichissement. Dans son ouvrage, Un voyage dans les philosophies du monde (éditions Albin Michel), Roger-Pol Droit détaille les quatre buts de l’humanité dans la philosophie indienne, dont est empreint l’hindouisme : le Kama, le plaisir, l’Artha, la puissance-prospérité, le Dharma, que l’on pourrait traduire par le devoir ou le respect de l’ordre du monde, et enfin le Moksha, la libération du cycle de la vie, le but ultime.

Mais le Moksha, ou l’accès au Nirvana, n’est réservé qu’à quelques-uns, les renonçants, les saddhus. Au contraire, vouloir gagner de l’argent, c’est honorer l’Artha, et c’est pour tout le monde. “Prospérer, et même faire fortune, est légitime, tout comme étendre son influence et garantir son emprise”, écrit Roger-Pol Droit. D’ailleurs, pendant la fête de Diwali, la fête des lumières, qui a lieu à l’automne, on souhaite “Love, light and prosperity” à ses proches.

Gandhi sur les billets de banque

L’Inde de Gandhi s’est-elle dissoute dans les centres commerciaux ? Je ne sais pas, mais j’aime poser des questions auxquelles je n’ai pas de réponse (j’ai le droit, c’est mon blog !). Toutefois encore aujourd’hui, c’est l’effigie du Mahatma qui reste imprimée sur les billets de banque. Encore une preuve de comment la pensée indienne réussit toujours à rassembler tout et son contraire.

Le Concert de la Fin des Temps (nouvelle)

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              – Écrit par Ra. Guiridaran 

                        traduit en français par Krishna Nagarathinam

(Une nouvelle inspirée des événements de la vie du grand musicien français Olivier Messiaen, alors qu’il était détenu dans une prison allemande en 1940.)

Emplacement : Stalag-8, Allemagne, numéro de prison : 26.1942 ,    nuit de janvier

Comme un tas de paquets, les gens étaient allongés dans cette longue pièce. Tandis que les lampes qui se balançaient au-dessus des rideaux gonflés par le vent tentaient de maintenir la lumière uniformément répartie. L’obscurité et la lumière alternaient sur les personnes, laissant le reste de la nuit se fondre dans l’obscurité. Dehors, il n’y avait rien d’autre que le vent glacial. Même cette ululation ne fonctionnait pas correctement non plus et frappait de temps à autre les fenêtres avec un bruit sec. Dans le silence de cette nuit, le cri de la neige était le seul compagnon pour dissiper le sentiment de peur des personnes présentes dans la pièce. Au coin gauche, les derniers morceaux de bois brûlaient dans la cheminée en rendant leur dernier souffle. En un rien de temps, les charbons s’éteindraient. Ensuite, comme par magie, tous les objets de la pièce vont s’immobiliser.

Une vieille femme, à demi avancée, s’est approchée de la cheminée. Je ne reconnais pas cette personne de ma position. Elle souffla sur un petit morceau de charbon de bois. Une couleur jaune-rouge effleura les lignes ridées de son visage, puis s’estompa. Ah, c’était Mariana, ou plutôt « la Chatte Mariana », pour nous. Le poil de chat sur le grain de beauté près de ses lèvres nous faisait l’appeler ainsi. À chaque souffle de cette vieille dame, le morceau de charbon s’en allait avec un gémissement.

Mariana ne semblait pas vouloir relâcher son effort.

« Prenez une pause, vieille dame. »

Un grognement vint du coin de la pièce. Là gisait une personne, recroquevillée et couverte de ses épais vêtements. 

« Ce ne sont pas vos affaires. Taisez-vous ! Je n’ai pas la peau dure comme vous, vous comprenez ! »

Mais elle cria dans la direction de la voix, sans savoir qui c’était. 

Alors qu’il voulait dire quelque chose, le hurlement soudain entendu avait fait taire tout le monde. Tous, sans exception, se sont enroulés et allongés plus modestement. Une personne essaya de plier ses jambes de manière à les amener au bord de sa couverture. Mais ces jambes, qui étaient à nouveau exposées à l’extérieur, se mirent à tressaillir.

Malheureusement, je n’ai aucune envie de voir tout ça pour m’amuser. Dans quelques heures, nous aurons un doux soleil. Mais le froid durera jusqu’à midi en janvier. Et ensuite, il neigera pour le jour suivant. Le travail quotidien de chacun dans cette prison est de dégager la neige accumulée sur la route pour mieux la desservir. Les plus chanceux d’entre nous seront laissés pour travailler à la cuisine et parfois dans le bureau du gardien. Mais même dans ce cas, il n’y a aucune garantie de confort pendant le travail.

J’ai entendu le crissement des flocons de neige par les bottes et j’ai tourné la tête, c’était le directeur Jacob, le chef de cette prison de zone de guerre.

« C’est quoi, tout ce bruit ? Que faites-vous sans dormir ? » – puis il a ajouté quelques mots en allemand et a déversé de l’eau dans la cheminée pour que le charbon brûlant s’éteigne, puis il est parti. Mais personne ne peut comprendre ce qu’il dit, car nous sommes tous français. Selon le directeur de la prison, un Allemand bien sûr, depuis hier, le nombre de prisonniers a dépassé les cent. Étant donné que le nombre de prisonniers a été augmenté, nous devons souffrir encore plus. On ne peut pas en vouloir aux officiers allemands pour tout cela. On dirait même qu’ils sont aussi les victimes de tout cela. Et d’ailleurs, eux aussi observent inconsciemment le mouvement du temps infini comme nous le faisions.

Cela fait trois ans que nous attendons patiemment, en comptant les jours. Dix jours plus tôt, lors d’une fête du Nouvel An (1941), certains officiers allemands ont répété follement : « Cette année sera sûrement celle de notre libération. Que cette nuit s’éternise, et à la fin, nous aurons gagné la liberté en gagnant cette guerre ! ». Cela s’est produit lors d’une pièce de théâtre qui se déroulait à l’extérieur et dont j’étais le spectateur depuis la fenêtre. Le jour suivant, le même officier me donna un coup de pied avec son pied botté dans un état d’agacement envers quelqu’un. Tout semble maintenant être un rêve pour moi, peut-être pour l’officier allemand aussi. Qui sait ?

Le hurlement du vent froid à l’extérieur s’était un peu calmé. J’ai lentement ouvert la porte et j’ai contemplé la scène. Un froid glacial s’infiltrait dans l’espace entre les pièces. De nombreuses personnes comme moi étaient assises sans dormir. Une jeune femme avec un bébé dans les bras marmonnait « de l’eau, de l’eau ». Une dame et un monsieur de son âge la consolaient en posant leurs mains sur ses épaules.

Soudain, le son de la clarinette se fait entendre par-dessus les hurlements de la neige. Tout le monde s’est arrêté et a regardé un instant avec colère la porte de la pièce voisine, comme s’ils voulaient la casser. « Arrêtez ça. On dirait que nos oreilles saignent », a crié le jeune homme. Suivi de ceci : « N’avez-vous aucune pitié ? Donnez-moi un verre d’eau si vous pouvez ! — a crié d’une voix tremblante, la vieille dame vers la porte.

Pourtant, je pensais que certains d’entre nous dormaient paisiblement, comme si rien ne leur était arrivé. Mais non, je faisais erreur ! Comment les gens peuvent-ils dormir dans de telles circonstances ? Il est possible qu’ils soient tous morts, sinon ils ont perdu toute sensibilité et tout sens. En fait, j’ai réalisé cela, le tout premier jour de mon arrivée dans cet enfer. Je me suis déplacé lentement et j’ai ouvert la porte de la pièce adjacente.

            Dans le coin de la pièce se trouvaient quatre hommes d’âge moyen, chacun tenant un instrument de musique. Leurs têtes étaient penchées sur des papiers posés sur le sol. Même l’ouverture de la porte ne les a pas distraits.

“Ici, une femme meurt sans eau. Toute l’eau qu’elle contient s’est transformée en glaçons. Et vous vous amusez à jouer de la musique ! ”

Sur les quatre, trois se sont tournés vers nous. Celui qui était au milieu a tendu l’oreille vers moi et a demandé à ses amis : “Que dit cet homme ?”. L’homme qui a posé la question était le plus âgé du groupe, s’est avancé. “Je serai mort si je ne joue pas”, a-t-il dit avant de rejoindre son groupe. En entendant cela, je transpirais abondamment et voulant retourner dans mon coin, je suis rapidement passé devant la femme qui portait le bébé et me suis blotti contre la couverture. Alors que la sueur ne s’arrêtait pas sur mon visage, mes cuisses continuaient de trembler.

                                         —

Le lendemain, j’ai vu monsieur Oliver, le grand homme du groupe, alors que nous attendions notre douche. En réalité, j’ai montré à l’homme mon dos, à cause de l’accrochage d’hier. Mais, la présence de ce monsieur derrière moi m’a obligé à me retourner. Il s’était approché de moi et m’avait touché avec des mains rouges, sentant le savon.

Allons-nous nous asseoir sur ce banc et parler ? » a-t-il dit.

« Je crois que vous êtes nouveau dans cette prison. Et c’est pour cela que vous avez les larmes aux yeux ? me demanda-t-il.

« Hier, vous avez dit précisément ce que disait mon père. Voilà, c’est pour cela que j’étais un peu excité hier » – j’ai dit calmement.

« Où est-il maintenant ? »

Je me suis tu, comme quelqu’un qui a oublié un instant qu’il pouvait parler.

« Je m’appelle Olivier Messiaen » — dit-il.

Mon pouls s’est arrêté lorsque j’ai entendu le nom de ce monsieur. Je n’aurais jamais pensé rencontrer un jour le grand musicien français. Je sais que ces derniers temps, le nom d’Olivier Messiaen reste incontournable, presque dans tous les grands concerts du monde. Aussi loin que l’on soit de la musique, on ne peut se passer du nom d’Olivier Messiaen. Soudain, je me suis mise à pleurer sans même m’en rendre compte.

« J’ai beaucoup entendu parler de vous. Ravi de vous rencontrer » — comme j’ai fini par le lui dire, je pensais être arrivé à parler correctement. Malheureusement, ce n’était pas le cas. Parfois, nous utilisons la fierté pour cacher notre complexe d’infériorité, et c’est ce que j’ai fait à ce moment-là.

« Pourquoi l’incident d’hier vous affecte-t-il autant ? D’ailleurs, j’ai entendu dire qu’une vingtaine de personnes sont allées à l’hôpital aujourd’hui. Et vous êtes ici pour prendre un bain comme si rien ne s’était passé pourquoi ? », m’a demandé M. Oliver, sur un ton moqueur qui a subitement provoqué ma colère.

Il continua : « je comprends ce que vous pensez, mon ami. Regarde, que se passerait-il, si la souffrance et la douleur étaient surmontées. Les gens comme vous, qui éprouvent toute la douleur, pensent à la prochaine étape de cette situation, tandis que d’autres, prenant la lassitude comme une nature, regardent le mouvement de chaque moment », m’a-t-il dit d’un ton amical.

En fait, étant condamné à vivre dans une prison comme celle-ci, est-il possible d’y penser, comme il vient de le dire ?   Même si je me sentais poignardé en pleine poitrine par ses paroles, il me permit de lancer une contre-attaque, que je saisis en répondant :

 « Monsieur Olivier, j’ai une question à vous poser. Est-ce que vous croyez vraiment que vous pouvez sauver des gens qui attendent la mort en leur jouant de la musique ? Pensez-vous qu’ils sont en état de l’entendre ? Ou peut-être faites-vous partie de certaines catégories de personnes qui n’ont pas conscience de ce qui se passe autour d’elles ».

 Si je ne faisais que répondre à ses paroles, je ne sais pas. Mais ce sont les raisons pour lesquelles j’ai agi contre le groupe lorsqu’il jouait de ses instruments hier. La pensée de monsieur Olivier était ailleurs.

Quelques secondes plus tard : « Ce soir, c’est le concert et j’espère que le temps sera meilleur » — grommela M. Olivier.

Je ne suis pas sûr de ce qui m’est arrivé. Tenant la main de M. Olivier dans mes bras, je l’ai emmené au dispensaire de la prison. Dans le couloir du dispensaire, il y avait une foule de gens habillés en lambeaux, amputés de membres, avec la peau sèche sur le dos, allongés sur le ventre, ainsi que des enfants sous-alimentés qui ne pouvaient même pas pleurer, qui nous regardaient tous avec dédain.

« Monsieur Olivier, comment voyez-vous ces malheureux ? Savez-vous ce qui résonne ici en permanence ? Ce sont des bruits de faim, de douleur et d’enfer, rien de plus. En plus, il est affreux de vivre sans savoir pourquoi, ici, nous avons de pareilles personnes. En réalité, ce pénitencier est un enfer, l’enfer de la terre. À chaque fois que notre Archange tendait la main vers le ciel, je pensais qu’il portait nos doléances au Seigneur. Je comprends maintenant que c’était pour nous faire savoir qu’il ne pouvait plus s’occuper de nous. Une telle extravagance est-elle nécessaire dans une telle situation ? Et pensez-vous que la musique puisse sauver ces malheureux ? Nous non plus, n’avons pas l’énergie pour applaudir. Si vous désirez rendre l’utile à l’agréable, priez pour nous avec votre musique. Et aussi, non en vue d’une liberté parfaite, c’est plutôt pour ces enfants qui pleurent pour une nuit paisible. »

Après avoir parlé d’une manière expéditive et effrénée, je me suis évanoui d’épuisement et tombé.

                    *                    *                     *

L’ensemble du terrain de la prison était recouvert de neige. Cinq cents prisonniers et fonctionnaires de la prison se sont rassemblés dans le froid glacial. Autour de quatre musiciens, les prisonniers se sont assis les uns contre les autres comme des sardines avec leurs tenues en lambeaux. Ils étaient nombreux à être venus pour cette intimité qui les réchauffait un peu. Je me suis assis au premier rang. M.Oliver Messiaen a commencé à jouer de son piano avec une hâte inattendue sans même faire les salutations formelles. Étonnamment, les trois autres ont préparé leur violoncelle, leur clarinette et leur violon.

L’effet de la musique était de nous donner une sorte de confusion, tellement que les prisonniers échangeaient de temps en temps un regard un peu étouffé. Que s’est-il passé ? Je n’y comprenais rien non plus. Les rythmes roulaient comme une charrette sur un chemin caillouteux, sans tenir compte du temps. Le son de cet instrument au milieu me faisait ressentir quelque chose, comme un oiseau coincé dans une roue, il sonnait très fort avec du bruit. Le violoncelle est entré brusquement, se glissant lentement comme le temps dans notre prison. Dans la direction opposée, le violon a bruissé comme une feuille prise dans une congère. Les mélodies des instruments ne semblaient pas correspondre les unes aux autres. Bien qu’il y ait eu une certaine grogne chez les spectateurs, ils se sont assis patiemment par respect pour les musiciens.

Il faut dire que dans les passages suivants, le jeu de la clarinette a transpercé l’âme. Les souvenirs de la musique ont illuminé les visages des personnes qui s’étaient rassemblées, couvertes d’obscurité. Et c’est comme si un oiseau abattu se mettait à bouger. La neige a cessé de tomber. Les lumières devant les musiciens se reflétaient sur les visages de ceux qui se trouvaient dans les deux premiers rangs. Après eux, tout était noir. De nouveau, la mélodie du piano et du violoncelle sonnait triste avec un rythme accéléré et épuisant. Des chuchotements peuvent être entendus ici et là.

Une envie de tout jouer se lisait sur le visage de monsieur Olivier Messiaen. J’étais nerveux. Une sorte de culpabilité pesait sur mon esprit en pensant à ce qui s’était passé ce matin-là. Je ne comprends pas pourquoi je me suis comporté de la sorte. Le concert touchait à sa fin. J’avais le sentiment que toutes les confusions qui m’étaient restées, jusqu’à présent, seraient terminées. Tous les instruments ont alors commencé à jouer ensemble. Les nuages sombres ont commencé à se dissiper lorsque les quatre instruments se sont mis à jouer ensemble, à la recherche de leur origine. Les spectateurs, sans distinction, ont essayé de se redresser. J’ai remarqué une éclaircie sur le visage des gardiens de prison qui étaient assis près de moi.

Le Temps et les Heures semblaient s’étirer à l’infini. C’était comme si une force invisible se repoussait en moi. J’avais même l’impression d’être gelé, immobile. Le temps apparemment sans fin semblait se terminer soudainement. La musique s’est dissoute dans l’air tandis que la tension diminuait et se relâchait lentement.

Après avoir fermé son piano, monsieur Messiaen s’est mis à parler depuis sa chaise.

« Chers amis ! Merci de nous avoir écoutés avec patience. Je ne vais pas parler de ce que nous n’avons pas exprimé à travers nos instruments. Je n’en ai pas envie. Je vais donc conclure brièvement. Ce sont des moments malheureux. Épuisement et désespoir sont les deux mots que nous avons sur les lèvres. Et rien que la neige et ses hurlements nous accompagnent. À l’instar de certaines personnes, moi aussi je me suis demandé s’il était nécessaire de diriger un concert dans une telle situation. Mais je n’ai pas trouvé de réponse à cette question. Nous, les quatre, sommes comme vous, des gens ordinaires, et ne pouvons pas faire de miracles. La période où l’on croyait que l’expérience de la musique ne pouvait être ressentie que dans un état de bonheur n’a plus de sens aujourd’hui. Il faut désormais se demander avec quel espoir nous pouvons vivre. Le concert que vous venez d’entendre est le langage que j’écris depuis huit mois avec le désir de communiquer avec vous. »

Il resserra l’écharpe autour de son cou pour se protéger du froid. Et il poursuivit son discours, en lançant un regard à ses amis musiciens assis derrière lui.

« Quand on s’entraînait, je ne savais pas comment répondre verbalement à des personnes en colère, c’est ce qui s’est passé hier, avec vous. J’ai tout donné pour composer ce morceau de musique, pour qu’il fasse fondre notre âme. Je ne sais pas à quoi ressemblerait cette musique si l’humanité n’existait pas. Vous savez pourquoi je me suis dépêché de terminer cet extrait musical, parce que dorénavant la survie du Temps est devenue un enjeu majeur. Le nom de cette pièce que nous venons de jouer devant vous est “Quatuor pour la fin du temps”. Le raccourcir à quatre seulement n’est que par commodité. De fait, c’est une œuvre musicale composée d’innombrables gouttes recueillies auprès de chaque être sur la planète. Hier, lorsque nous avons terminé la répétition, j’ai compris quelle était la véritable passerelle qui nous relie, grâce à ce monsieur, assis au premier rang dans le calme, pour connaître le dénouement du morceau. »

«  Nous ignorons l’annonce de l’ange de l’Apocalypse, la phrase biblique disant  » Il n’y aura plus de temps  » déclarée dans le ciel. Je peux dire cela avec courage, car c’est le Temps qui m’a donné la bonne réponse à la question embarrassante qui planait sur ma tête depuis mon premier jour dans cette prison. La réponse à cette question n’est autre que la composition que vous venez d’entendre. Je ne sais pas si cette musique mérite d’entrer dans l’histoire. Cependant, nous pouvons dire avec certitude à tout moment que cette œuvre est le cri d’une âme en état d’émotion. La musique ne lie pas seulement nous, mais aussi l’univers, la terre et toutes nos âmes. C’est pourquoi nous sommes ici. Le pouls du temps est la musique, c’est la bonne réponse à la question du Temps. C’est ce qui nous rend parfaits et entiers. Pour cela, j’exprime ma gratitude.  »

Il y eut une salve d’applaudissements, étouffant le son de la neige hurlante.

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« Le dépôt de dossiers de police contre 6 résidents est malheureux : Auroville Working Committee »

Le professeur K. Panjangam m’a envoyé un article sur la commune universelle d’Auroville, qu’il a trouvé récemment dans le quotidien The Hindu. Ceux qui ont lu mon roman tamoul Iranthakalam (ou plus récemment en français, je vis dans le passé) ont peut-être deviné la raison qui a amené mon ami à m’envoyer ce message, les autres se demandent peut-être « pourquoi ».


Le roman ‘Je vis dans le passé’ initialement publié en tamoul fin 2019 se concentre sur la ville d’Auroville et ses problèmes actuels. Ceux qui connaissent l’identité de la ville  » Auroville  » (la ville de l’aube) d’aujourd’hui, située non loin de Pondichéry, une forêt humaine, fondée pour réaliser le marxisme spirituel au sein du sous-continent indien, qui est aussi un signifiant des célèbres vers tamouls : Toutes les villes sont nos villes et considérez-la comme telle… ou ceux qui ont lu mon roman sur Auroville ne seront pas surpris par les infos publiées sur cette ville.


Un bref résumé pour ceux qui n’ont pas lu le roman. Auroville est une ville internationale qui a émergé à la fin des années soixante. Les personnes qui connaissent Pondichéry ont peut-être entendu des noms comme Aurobindo, Mère et Aurobindo Ashram. Pendant la période de l’Inde britannique, les Indiens accusés par les Britanniques d’être contre leur autorité se réfugiaient à Pondichéry, sous contrôle français, pour échapper à la punition. Aurobindo, originaire du Bengale, était parmi ceux qui arrivaient. Il est devenu un mystique et a fondé un ashram à Pondichéry. C’est la Française Mira Alfasa, alias « Mère », qui devient sa disciple et plus tard sa compagne spirituelle. C’est avec sa bénédiction que la ville d’Auroville a vu le jour. Ses idéaux étaient nobles lors de la pose de la première pierre :
« Auroville aspire à être une ville internationale, où les hommes et les femmes de tous les pays du monde peuvent vivre dans la paix et l’harmonie progressive, transcendant par-dessus tout la religion, la politique et l’identité nationale. La mission d’Auroville est de promouvoir l’unité humaine. »
L’intention des bâtisseurs d’Auroville est donc irréprochable. Le problème était la politique et les luttes de pouvoir qui se sont développées entre ceux qui ont continué à diriger Auroville et l’ashram. Les problèmes, en raison des transgressions de quelques Aurovilliens exprimées en public, ont été exposés à de fortes critiques. S’étant transformée en une ville moyenne en raison de nombreuses allégations et disputes, la cité de la liberté est aujourd’hui sous la supervision directe du gouvernement indien. Cinquante ans se sont écoulés depuis la fondation, mais le rêve des bâtisseurs de la ville s’est-il réalisé comme promis ? Y a-t-il une chance pour que des personnes de tous les coins du monde puissent devenir citoyens d’Aroville, indépendamment de leur religion ou de leur couleur ? Les fermiers indiens ont-ils été correctement indemnisés pour les terres expropriées pour l’expansion de la ville ? Malheureusement, nous n’avons pas de réponses claires à ces questions.




















					

Le Rêve – ( nouvelle tamoule) – Kalaiselvi

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(   Kalaiselvi, une autrice tamoule de la nouvelle génération. Contrairement à de nombreux auteurs tamouls, elle ne privilégie pas la sphère extérieure, mais elle laisse son écriture peindre les sentiments des gens.

     À ce jour, elle a écrit cinq recueils de nouvelles et cinq romans..)

Le train à grande vitesse a dépassé cette petite station avec un bruit sourd. Pas même le mouvement aveuglant de ses fenêtres ne le fit bouger. Il était allongé, le dos contre un banc le long du quai, et son bras gauche était étendu sur son visage pour cacher ses yeux. On pouvait généralement voir les mouvements des gens si un train de voyageurs s’arrêtait en gare. Jusque-là, notre homme n’avait aucune objection à s’allonger ainsi.

          La haine est naturelle. De fait, elle est l’inné d’un être. De là, nous sommes obligés de tirer la sensation de désir. L’expression de la haine est même le langage de la communication, sauf que son ampleur peut varier d’une personne à l’autre. En revanche, le ressenti de l’envie vient lorsque le niveau de haine diminue. Mais cela arrive très rarement, et notamment dans les sentiments comme l’amour. Le chant ininterrompu d’un corbeau semblait approuver ses pensées, et également provoquer chez notre homme un regard furtif vers l’oiseau, éloignant légèrement son bras de ses yeux. D’ailleurs, l’ombre des branches qui recouvraient le banc le rendait furieux. À côté du banc, un chien brun, reposant sa tétine sur ses plis, s’assit. Il détestait moins les animaux, car pour lui ceux-ci sont moins intelligents que les hommes. Ou peut-être à cause du fait qu’ils n’étaient pas ses concurrents.

Il était entouré actuellement d’un cadre photo, sur lequel était posée une guirlande de fleurs. Le visage qui semblait aussi serré que d’habitude avait un ‘pottou’ -un gros point coloré entre les deux sourcils épais. Devant lui, il y avait une feuille de bananier, dans laquelle se trouvaient des iddlys –  des gâteaux salés – à la sauce curry et aussi un assortiment de canapés et de sucreries. Néanmoins, ses yeux étaient ailleurs sans montrer le moindre intérêt pour ses aliments préférés. Sarodja pleurait comme si un deuil venait de se produire. Le tragique décès de son fils, né après deux filles, lui faisait verser des larmes.

« Es-tu mort en te demandant ce que ces gens feraient ? Puisque, nous tous dans cette maison ne sommes que des femmes, n’est-ce pas ? » La mère de Sarodja s’est interrogée en larmes et en se battant la tête. Le petit-fils serait le centre du bonheur de sa fille, disait-elle souvent. “Écoute, tout le monde dit que ton fils réussit bien à l’école, alors pourquoi tu te plains.’ consolait la mère auprès de sa fille. Même son école secondaire espérait qu’il devienne médecin. Il était sérieux, il pouvait réaliser leur souhait, c’est ce qu’ils pensaient tous. Il apprenait aisément. Et de là, son ambition naquit.

En rentrant chez elle après avoir fait la vaisselle, et ayant un jour de congé de son petit restaurant, elle a pu inviter les enfants de leur rue et leur dire : demain, nous commémorerons la mémoire de votre frère à l’occasion de Diwali (la fête des Lumières) ; si vous venez chez moi, vous aurez des sucreries. D’habitude, lors d’une telle fête, les enfants ne sont intéressés que par la collecte de pétards, mais ils étaient si convoités pour les sucreries et les gâteaux. Ses deux sœurs étaient maintenant mariées. Bien que leur frère ne soit pas très vif, la tendresse de son frère à leur égard les faisait pleurer pour lui. La noix de coco uniformément cassée et le paratha (pain plat indien) gracieusement saisi par le corbeau à son appel ont été leur soulagement.

 “Tu n’es plus un petit garçon, et pourquoi tu as tu toujours l’air triste comme si tu avais perdu quatre ou cinq navires ?” Telle était la question qu’elle posait souvent à son fils. Certes, le fait que son fils ait un visage inquiet, et ce, tout au long de sa vie semblait être un défaut pour elle. La haine n’est pas seulement destinée au bien. Et, elle est aussi idéale pour la solitude et la paix. En même temps, il s’est rendu compte qu’elle avait le pouvoir d’identifier et d’unir son propre peuple. S’il n’avait eu que haine sur haine, il n’aurait peut-être pas été capable de trouver son propre peuple. Ils étaient tous soumis à la haine. C’était une alliance de sept membres qui ruminaient volontairement la haine.

Au moment de la distribution de friandises et de gâteaux aux garçons, on a remarqué la trace de la poudre de pétard sur leurs mains. Sans pouvoir se défaire du lourd souvenir de son fils, Sarodja est assise dans un état pitoyable.

“Est-ce la maison d’Azhagesou ?” Ce fut la question d’un policier, qui se présenta à leur porte un soir d’été. Il lui semble que tout a été fait à l’instant. C’est ainsi que son temps s’arrête parfois sans bouger. Parallèlement, il ramène ce qui a déjà été digéré pour pouvoir le ruminer à nouveau. Heureusement, il ne s’agit pas de chaumières superposées. Mais plutôt d’abris sans cloisons ni murs, dont certains sont même séparés par des saris, des étoffes de femmes. À ce quartier, avec une confusion pour l’identifier entre la passerelle et l’intérieur, le policier s’est adressé sans s’approcher de personne. Une voix dépouillée de son autorité est une chose positive, mais le contenu de ce qu’il vient de dire n’est pas une bonne nouvelle.

Sarodja courut vers la gare en hurlant, accompagnée de ses filles.

Même le gardien du parc Barathi venait de temps en temps pour donner des nouvelles de son fils. Et d’une voix forte, “votre fils traîne dans le parc toute la journée, et il est encore tout jeune, vous devez faire attention à lui”, il les mettait en garde contre son fils.

La haine est un sentiment naturel. Même s’il se rend compte que le fait de vouloir le faire revient à tirer un fil d’une pierre, son habitation ne lui a pas permis de retenir la haine. De plus, dans un logis où il n’y a qu’une seule pièce pour tout le monde, il est difficile de le faire. D’autre part, les maisons situées en face du parc ne se chevauchent pas comme la sienne. Cinq des leurs peuvent être enfermés dans une seule maison, située devant le parc. À l’intérieur, elles ont leur propre jardin, et même leurs balançoires. Aux pieds fins, les membres de la famille trottent à l’intérieur de ces maisons, utilisant leurs voitures comme chaussures lorsqu’ils en sortent.

Bien qu’elle demande à son fils, les yeux remplis de larmes, “Mon cher fils, pourquoi agis-tu comme si le gardien du parc parlait de toi ?” Elle ne manque pas de montrer sa colère au gardien du parc en lui répondant : “Ne me raconte pas de conneries sur mon fils, bientôt il sera médecin, et à ce moment-là, je réglerai cette affaire avec toi.”

Mais elle n’a pas pu trouver même la maigre somme pour réaliser leur souhait. Elle n’a pas eu le courage de regarder son fils malgré les bonnes notes qu’il avait obtenues pour être admis dans une faculté de médecine. Ce jour-là, lorsque son fils revint à la maison après de longues et interminables heures de marche, Sarodja était dans un état déplorable. Elle souhaitait qu’il soit de retour chez eux, comme avant.

Ce jour-là, le restaurant où travaille Sarodja l’avait invitée à passer, pour proposer à son fils un emploi dans leur établissement. Il pourrait être comme un manager et donner des ordres en faisant pivoter sa chaise, depuis une cabine bordée de panneaux de verre. La mère aussi bien que le fils connaissaient ses capacités.

Le restaurant ignorait son talent. Cependant, lorsque la famille de Sarodja a eu des problèmes, ils l’ont aidé sans tarder. En outre, le restaurant leur fournit des vêtements neufs pour les fêtes. La dernière fois, Sarodja refusa d’accepter un sari, elle leur demanda plutôt de l’argent afin de pouvoir acheter de nouveaux vêtements pour son fils. Au lieu de cela, le propriétaire du restaurant lui a donné deux chemises : l’une était bleue, l’autre verte. La taille des chemises n’était pas correcte, elles étaient grandes et pourtant il les a acceptées sans rien dire. Il ne faut pas croire que le retrait des vagues signifie qu’elles sont calmées. À tout moment, les raz-de-marée peuvent balayer la terre.

Toute la famille criait et hurlait sur le corps. Il était allongé sur les rails recouverts de gravier. Le visage était gravement déformé. Grâce à sa silhouette droite et à sa chemise bleue, on put identifier le corps. Il était couvert de blessures et de sang. Après autopsie, la police a rendu le corps à la famille..

On peut affirmer que les individus qui acceptent volontairement la haine ne transgressent pas leur nature. En même temps, ils savaient que toutes les émotions commenceraient à changer à un moment donné, et aussi les moyens par lesquels elles se transformeraient. Ils se dirigent vers ce point. Là, tout sera comme au printemps. Leurs pieds deviendront fins. Le monde sera agréable.

Le train avançait lentement et commençait tout juste à entrer dans la soirée. Il restait peu de lumière du soleil alors que le train entrait dans le paysage sec et aride, dissolvant le bruit du train. Les vibrations des compartiments faisaient trembler les gommiers rouges, nous donnant l’impression qu’ils étaient possédés par des diables. Ces secousses pourraient s’atténuer à mesure que le convoi avance. Mais l’obscurité pourrait l’envahir avant cela. Dans ce bruit, « tadak….. tadak », on ne sentait aucun mépris.

L’argent nous donne de l’arrogance et nous fait sentir un statut sans précédent. Comme toujours, le train roule tranquillement sur les rails sans se soucier de l’argent de la banque qu’il transporte dans des caisses bien sécurisées, tandis que les toits de ces caisses ont été ingénieusement ouverts.

Le froid de l’air conditionné lui a causé un mal de tête. Il s’est levé et s’est assis. L’âge moyen de ces sept personnes allongées côte à côte devait être inférieur à vingt-cinq ans. Dehors, il s’est assis dans une zone qui ressemblait à une cour. Il ne savait pas de quelle ville ou de quel état il s’agissait. À vrai dire, cela ne faisait que sept mois qu’il connaissait ceux qui dormaient à l’intérieur, mais on pouvait tout de même compter sur eux. Ils avaient besoin de son cerveau. Mais lui, il avait besoin de leur talent et de leur courage.

Lorsque l’on atteint le sommet de la haine, celle-ci, à l’état de fonte, commence à déborder. Après une planification minutieuse, ils ont décidé de s’unir avec l’intention d’atteindre le sommet. Il ne pensait qu’à quitter la maison avec quelques vêtements dans son sac à dos. Voir un jeune homme à la tête écrasée et ensanglantée n’était pas dans son planning.

Il a dû être le premier à voir le corps. L’obscurité était telle qu’il ne pouvait pas distinguer entre le suicide et l’accident. La taille du corps couché sur le ventre correspondait à la sienne et une sorte de compassion pour lui-même a émergé en lui. Il s’agit sûrement d’un suicide. Il est possible que le défunt soit également intéressé par le fait d’avoir des jambes douces et une belle vie. Les pétards lancés par des personnes ayant de telles jambes auraient pu provoquer une manie chez lui. Ne pas pouvoir réaliser ses désirs, c’est comme passer des jours en enfer. Le reste de la vie, transformé en esclaves, en mercenaires, à renifler, à avoir des enfants et à les envoyer ramasser les pétards et les feux d’artifice dans les rues, jetés par les autres.

La nuit dense à laquelle il s’est habitué depuis déjà un bon moment, semble avoir perdu de sa vigueur. Du sang qui coule est encore chaud, et tout le reste est gelé. Quelqu’un a dû lui donner la chemise gratuitement, et elle gisait loin du corps comme il n’avait aucune envie de la porter. Le corps devra rester dans le froid jusqu’à ce que l’autre personne puisse voir. Aucune personne n’est venue, jusqu’à ce qu’il lui fasse remettre la chemise. Pauvre garçon. Il n’aurait peut-être pas pu avoir d’aussi bons amis comme lui. C’est une des raisons qui explique son geste de suicide : tomber devant le train.

Un à un, les amis d’Alakesan sont entrés dans la cour pour le retrouver. “C’est possible qu’il ne soit pas parvenu à bien dormir, compte tenu des appels au bonheur qui survenaient comme des rêves devaient l’empêcher de dormir”, pensa-t-il.

Tant de dénominations de billets de banque indiens dans de grands paquets. Ce ne sont pas des billets de dix, vingt ou cinquante, mais des billets de mille roupies. Un seul paquet suffit à faire de quelqu’un un millionnaire. Ils ont des milliers de ces paquets s’ils planent au lieu de marcher et quand ils dorment, dans leurs rêves, ils ne voient que les coupures des billets.

C’était l’aube du 8 novembre 2016. Sarodja pleurait encore.

***

Feb.2019 Kakkai siraginile

Un écrivain et un traducteur tamoul sont à l’honneur

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Chers amis,

L’Inde est l’invitée d’honneur du Festival du livre de Paris, qui se déroulera du 22 au 24 avril. Parmi les auteurs indiens, il y a un auteur que nous connaissons dans le sud, plus précisément dans le Tamil-Nadu. A cette occasion, selon les informations reçues de la Librairie Phénix l’auteur Peroumal Mourougan présentera son roman « Le bûcher » publié chez Stéphane le 23 avril 2022 à 17h.

Notre traducteur connu V. Vengada Subburaya nayagar qui a remporté le prix Romain Rolland en 2020 du gouvernement français est également invité cette année au festival, je vous informerai une fois son programme connu.

Rencontre – Perumal Murugan (librairielephenix.fr)


Bibliographie

Cage à pigeons (une nouvelle tamoule)-  – par Harisankar

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(Harisankar est un jeune écrivain tamoul de Pondichéry, en Inde. Il a débuté son chemin de création en tant qu’écrivain à l’âge de 18 ans, par un roman pour la jeunesse. Jusqu’à présent, l’auteur a écrit trois recueils de nouvelles : Pathiladi ( Réplique ), Emali ( Naïf ), Udal ( Corps ) et deux romans : Paris , Unmaigal poykaL karpanaigal (Vérités – Mensonges et Illusions) en tamoul. Et son nouveau roman « Paris 2 » paraîtra prochainement).

Un coup de vent par la fenêtre lui fit penser à cela. Ayant terminé quelques tâches ménagères, épuisée, tout en finissant son déjeuner à la hâte, elle entra dans la chambre et s’allongea sur le flanc dans le lit, le regard fixé sur la fenêtre. Le ventilateur tournait à une vitesse irrégulière du fait de la faible qualité de l’électricité.

Elle se sentait remplie de vide. Elle ne comprenait pas pourquoi. Elle était allongée et pensait à quelque chose, sans être consciente du brouhaha provenant des maisons voisines ni du bruit des véhicules circulant à l’extérieur.

C’est un immeuble de la Société de logement, construit il y a plus de vingt ans. Quant à son appartement, il se trouve au deuxième étage. Les travaux de réparation et d’entretien sont effectués par la famille elle-même avec ses propres moyens. Ce sont des logements avec le minimum de confort : un petit salon, une cuisine, une chambre et puis un coin réservé à la douche et aux toilettes. Les locataires peuvent être de une à huit personnes. Il y a toujours du bruit provenant d’un logement ou d’un autre. Et cela les étonne beaucoup, quand il n’y a pas de bruit, et en plus cela leur fait peur.

Elle s’assurera que sa maison est toujours propre. Comme elle entretient bien leur logis, elle ne tolérera pas et se mettra en colère si tout dans leur demeure n’est pas à sa place. Avec elle, sa belle-mère, son beau-père et bien sûr son mari et leur enfant vivent tous sous le même toit. Elle et son mari prennent la seule chambre à coucher qu’ils ont, de sorte que ses beaux-parents dormiront dans le salon, et leur fille dormira soit dans le salon, soit dans la chambre avec ses parents, selon les exigences ou les préoccupations du ménage.

Ce n’est que lorsque cette agréable brise a soufflé que la pensée lui est venue. Cela fait plus de deux mois qu’elle n’a pas fait l’amour avec son mari. Lui, de son côté, a essayé deux ou trois fois de le faire, mais chaque fois la demande a été impitoyablement rejetée à cause de sa fatigue. Et il a accepté sans rien dire le refus de sa femme. Quand même, elle avait l’impression que cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas couché avec son mari. Elle décida donc de le faire à tout prix cette nuit-là. Quel que soit l’état d’esprit de son mari, elle sait comment l’y préparer. Alors, leur fille unique devra dormir avec ses grands-parents conformément à la pratique suivie depuis des années dans ce ménage. Tout cela la laisse s’envoler joyeusement. Elle entendit quelqu’un frapper à la porte et tourna la tête, il s’agissait de son beau-père. Ses yeux se sont dirigés vers l’horloge sur le mur d’en face.

« Je vais chercher notre petit à l’école, s’il nous manque quelque chose à la maison, dis-le-moi, je l’achèterai à mon retour. » – lui dit son beau-père. Elle est allée dans la cuisine, a ouvert le réfrigérateur et lui a dit qu’ils avaient besoin de lait. Le vieil homme acquiesça d’un signe de tête et s’en alla. Elle, pour sa part, regarde dans le salon, et constate que sa belle-mère est allongée devant elle, près de l’entrée, les yeux fermés. Et cette dernière ne fait que croire, elle le sait. Elle retourne dans leur chambre, et s’allonge sur le lit. Elle sent que son corps se resserre. Elle regarde son avant-bras sur lequel les poils fins restent dressés. Un petit sourire discret déborde sur les lèvres pulpeuses. Elle jette un coup d’œil à la chambre, qui lui semble en désordre. Elle doit y remettre de l’ordre. Tout ce qui s’est passé depuis la dernière fois lui revient peu à peu à l’esprit.

Une demi-heure plus tard, les bottes de sa fille sur les marches la font se lever et se rendre à l’entrée. La fille se précipita pour entrer, rangea son sac et s’assit sur une chaise en plastique, avec l’air triste. Pour sa mère, il est donc clair que quelque chose est arrivé à sa fille à l’école. Néanmoins, elle a décidé de ne pas questionner sa fille pour connaître la raison. En fait, cette décision a été prise plutôt dans son intérêt, ne voulant pas perturber son humeur alors qu’elle attend impatiemment de réaliser un exploit après une période prolongée.

— Où est passé tatta (grand-père) ?

— Il me laissa pour acheter du lait.

Son attention est attirée par l’uniforme sale de sa fille, surtout par sa jupe blanche.

— Tu étais à l’école ou tu traînais dans les rues ? Deux mois à peine se sont écoulés depuis ton inscription en classe de CP, et pourtant tu as déjà ton uniforme dans cet état, cochon ! Retire d’abord ton uniforme, et fais ensuite le reste !

 Elle a grondé sa fille sous le coup de la colère. Au même moment, son beau-père est entré avec une bouteille de lait à la main. Il semblait qu’il avait autre chose dans sa main qu’il ne voulait pas lui montrer. Mais, comme à son habitude, elle ignore ce qu’il a dans la main, elle se contente de récupérer la bouteille de lait dans sa main et entre dans la cuisine.

En laissant le lait chauffer dans le micro-ondes, elle est allée dans la chambre et a envoyé un message à son mari depuis son téléphone portable, lui demandant de rentrer plus tôt. Il a peut-être compris le sens du message de sa femme, car lorsqu’elle a posé le téléphone sur la table, un timbre a signalé un message. Comme elle s’y attendait, c’était de son mari. Le message lui a arraché un sourire de joie, car il s’agissait d’un emoji : une bouche en cul de poule et des signes de cœur dans les yeux. Satisfaite de l’allégorie de son mari, elle se rendit dans la cuisine pour préparer le thé. Après avoir distribué le thé à tout le monde, elle se tenait sur le balcon et regardait les alentours en sirotant son thé.

Le vent soufflait fort. « Prochainement la mousson, le vent soufflera aussi fort », se dit-elle. Soudain, elle entendit un bruit dont l’origine, pourtant connue, la mit en colère. Elle se rendit dans le salon où sa fille était en train de jouer au jeu du téléphone. Donnant une petite tape dans le dos, elle arracha le téléphone de la main de sa fille. La fillette, qui a hésité quelques secondes, s’est mise à sangloter.

– Combien de fois puis-je dire qu’il ne faut pas toucher le téléphone, tu veux que je te mette déjà les lunettes ?

— Elle vient juste de commencer, laissez-la jouer!- le grand-père est intervenu pour la défendre. 

— Ne vous en mêlez pas, c’est votre gentillesse qui la gâte. Dans sa classe, il y a déjà pas mal d’élèves qui ont des lunettes, dit-elle à son beau-père, d’un ton légèrement inquiet.

Le vieil homme se calma immédiatement. En prenant sa petite fille sur ses genoux, il alluma la télévision et écouta les vieilles chansons. Éprouvant du ressentiment envers sa mère, la petite fille a lâché son grand-père et est retournée dans la chambre.

— Ne t’endors pas, avant d’avoir fini tes devoirs. Tu comprends !, prévient-elle à sa fille.

Il était huit heures du soir quand elle a terminé toutes les tâches ménagères et juste avant, elle a servi le dîner à sa fille, à sa belle-famille et a fait dormir sa fille comme prévu dans le salon. « De toute façon, mon mari arrivera entre huit et neuf heures et je dois être prête à ce moment-là », songe-t-elle. Attrapant une chemise de nuit dans l’armoire de la chambre, elle se dirige vers la salle de bains. Elle a investi le temps de finir la douche, et quand elle est sortie, elle a remarqué que son mari entrait. En voyant sa femme, un sourire indescriptible s’est répandu sur les lèvres de son mari. La fille et la grand-mère dormaient déjà profondément, tandis que le grand-père, comme d’habitude, somnolait.

– Papa, as-tu pris ton repas ? demanda le fils à son père.

– Oui, j’ai mangé.

– Alors tu dois être endormi.

– Nous venons de dîner, j’ai besoin de temps pour dormir, tu sais ? Eh bien, va te changer et termine ton repas, conclut-il sur un ton encore parental.

Sans dire un mot, le fils est allé dans la chambre, a changé de vêtements, s’est lavé les mains et les pieds, s’est douché discrètement. Le vieil homme a remis la télécommande dans la main de son fils, tout en ignorant ceux qui dormaient déjà là. Il a ensuite commencé à changer les chaînes une à une sans s’arrêter. Pendant ce temps, une assiette contenant des dosas fut apportée et posée devant lui sur la table. Il a pris son petit plat un peu rapidement tout en regardant la télévision. Lorsque nous l’avons revu dans le salon après s’être lavé les mains, son père était en train de déplier un tapis de jonc pour s’allonger. Sans prêter attention à son père, le fils est entré dans la pièce et s’est assis sur le lit. Sa femme, quant à elle, a terminé son repas dans la cuisine même, a fait la vaisselle, a éteint toutes les lumières sauf la veilleuse, et est finalement entrée dans la chambre. Dans le salon, le beau-père ronflait déjà. Il semblait que tous les autres membres de la famille étaient plongés dans un sommeil profond, cependant, elle a fermé la porte sans bruit, comme si c’était nécessaire. Donc, par mesure de prévention, elle doit verrouiller la porte. Mais cette action risque de faire du bruit, elle le sait. Hélas, elle n’a pas d’autre choix que de servir le loquet avec précaution, puis de fermer toutes les fenêtres.

Les yeux de son mari sont fixés sur elle. Elle continue à marcher ici et là sans détourner les yeux vers lui. En effet, elle attend que son mari en prenne l’initiative, c’est son souhait. Lui aussi sait ce qu’elle attend de lui. Ce jeu entre le mari et la femme va durer un moment. Parfois, il restera aussi atone sans le moindre regard envers elle. Habituée à ce que ce jeu se termine, sachant quelle est sa limite, elle s’allongera sur le flanc comme si cela n’avait pas d’importance pour elle aussi. Comme elle s’y attendait, n’ayant plus l’esprit à garder sa patience, il s’approcherait lentement d’elle. C’est ce qui se passe maintenant. Il l’embrasse, appuyant doucement ses lèvres sur les siennes, les yeux fermés. Pour elle, c’est l’occasion d’apaiser son désir qui brûle depuis midi, ce dont elle tente de profiter pleinement. À ce moment précis, un cri strident de leur fille provenant du séjour, empêche la suite de la scène. Après s’être habillé comme il faut, le couple est sorti de la chambre.

Dans le salon, la lumière était allumée, leur fille était en train de pleurer tout en fermant les yeux. Le grand-père lui demande, tout en la réconfortant, ce qui s’est passé. La fillette a continué à pleurer sans rien dire. La mère a pris sa fille par la taille et l’a réconfortée en la mettant au lit. Son mari, qui suivait la mère et la fille, après avoir fermé légèrement la porte derrière lui, s’est approché de la fille pour la réconforter à son tour. La jeune fille a cessé de pleurer. Mais, elle ne parvenait pas à dormir. Dans le salon, son grand-père a éteint la lumière pour qu’il puisse se coucher.

Elle tapotait doucement le dos de sa fille, et à côté d’elle, son mari commençait déjà à bâiller, signalant la fin de son attente de la journée. Tout en ressentant une déception inattendue, elle caressait sa fille, tandis que son mari goûtait à un sommeil bienfaisant.

– Maman, ça fait mal.

  – Où ça, chérie ?

La fille a soulevé sa robe jusqu’aux genoux. Au-dessus de son genou gauche, il y avait une légère rougeur de la peau.

– Comment c’est arrivé ?- lui a-t-elle demandé avec une anxiété visible.

– Le moustique a piqué, a-t-elle dit, la petite fille.

La mère a regardé la partie piquée par le moustique. Pour elle, c’est certain que cela n’est pas une piqûre d’insecte, on aurait même dit une pince. Heureusement, sa fille, en très peu de temps, s’est endormie. Son époux aussi trouvait un bon sommeil.

Elle était énervée, furieuse et frustrée. Elle ne trouvait pas le sommeil, elle avait beau essayer, rien n’y faisait. « Que ou qui peut-elle blâmer ? ». Elle avait soif.  Il y avait toujours de l’eau au chevet du lit, mais cette nuit-là, il n’y avait rien. Sans doute avait-elle oublié. Elle est sortie et est entrée lentement dans la cuisine, en ouvrant la porte qui n’est pas fermée à clé, après l’incident inattendu survenu à leur fille.  Au moment où elle tend la main pour la lumière, son regard se porte sur le salon, où sous la lumière de la veilleuse, elle peut voir que son beau-père et sa belle-mère s’embrassent comme un jeune couple et que leurs vêtements sont défaits.

La colère de la jeune femme atteint son paroxysme. Déduisant des anomalies, elle a pu tirer le fait exact de la peau rougeâtre de sa fille. Il est vrai que cela lui fait de la peine contre ce vieux couple, néanmoins, elle s’en débarrasse rapidement en s’avouant que par nature leur comportement est acceptable, quelque chose semble aussi être si affectueux à cet âge. Elle est entrée dans la chambre et s’est couchée comme si elle venait d’arriver. Elle s’est endormie assoiffée.

— Traduit du tamoul en français par Krishna NAGARATHINAM

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La solitude de M. Daniel Ramasamy

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La solitude de M. Daniel Ramasamy

                                                      – Krishna NAGARATHINAM

— Cela ne t’ennuie-t-il pas de vivre en ermite, sans chercher à voir nos enfants ou à fréquenter autrui ?

Non. Pas de réaction de la part de celle qui est assise à l’autre bout de la table. Plus étonnant encore, sa question n’a même pas provoqué un grognement de sa part. Elle s’est levée. Dosa, la galette de riz dans l’assiette s’est émiettée en plusieurs bouts. On se demande si la femme a écouté ce qu’il lui a demandé. Sans regarder l’assiette ni chercher à savoir si son mari a mangé ou non, elle débarrasse la table comme un humanoïde programmé et retourne à la cuisine. Il lui faudra au moins une demi-heure pour en sortir après avoir fait la vaisselle à sa guise. Comme si elle l’attendait, à ce moment précis, une quinte de toux éclate en force, chez ‘Monsieur Daniel’. De son côté, les lumières se sont éteintes comme si elles attendaient qu’elle parte – il est cerné par le monde sans lumière – l’obscurité se déploie partout -l’espace sans vie – et ce qui se tend pour le saisir. Soudain il a la sensation d’être renversé et se voit tomber à la renverse dans l’abîme, au fond, où il ne trouve que boue, que puanteur.

— Papa ?

— Quand es-tu entré ?

— Quelle question, papa ? Je ne suis allé nulle part. J’étais dans ma chambre.

— Ne me raconte pas de bobards.

— Viens voir si tu veux. Même les livres que j’ai lus sont encore là.

Pensant suivre son fils, il se dirige vers la chambre d’en face, pousse la porte et entre. Une bibliothèque achetée dans un magasin spécialisé, les livres qui y étaient rangés, le lit, la table, la chaise, l’ordinateur qui grondait sans cesse, un banc de sport, tout est parti, la chambre est vide.

Lakshmi, viens voir la chambre de ton fils ! Où sont passés tous les meubles de cette pièce ?

Aurait-il pu l’appeler un peu plus doucement ? En effet, il ne parlait jamais d’une voix forte ou tonitruante dans cette maison où vivaient tous ensemble : lui, sa femme et ses enfants. En général, les questions posées à voix basse recevaient des réponses, et les ordres donnés étaient exécutés. Pourtant, depuis quelque temps, ce n’est plus le cas. Le bonheur va-t-il s’estomper à mesure que les attentes diminuent ? Et la voix va-t-elle dévoiler son vrai visage pour nous entraîner dans un conflit perpétuel ? En se posant de telles questions, il sort de la chambre de son fils, et tout à coup, il sent une main puissante s’emparer de son cou, ses efforts pour s’en débarrasser se soldent par un échec, les mains se multiplient, toutes commencent à l’étouffer.

Juste devant lui, une silhouette sans visage.

– « Qui es-tu », demande-t-il.

— Solitaire, mais je ne suis pas venu seul, c’est avec mes amis que je suis venu. Tous ceux qui ont travaillé pour toi pendant des années et qui sont aujourd’hui éveillés : malice, tromperie, jalousie.

Il crie à sa femme : « Laxmi, viens ici ! » et reprend : « Aie pitié de moi ! il se passe quelque chose ici. N’as-tu pas encore fini de laver ces deux assiettes ?

Il emploie sa force autant qu’il le peut pour libérer les mains étranges de son cou. Il s’avance ensuite lentement, à pas mesurés, et s’assied sur sa chaise préférée, qui se trouve toujours devant la table. Resté immobile, il halète — il ne peut plus respirer. Sa femme pour sa part ne finit pas de laver les deux assiettes dans la cuisine, il entend encore la cacophonie. Si elle peut aller chercher de la Ventoline, cela aidera peut-être à calmer cette toux qui ne veut pas lâcher. Pour affronter ou juguler cette méchanceté, M. Daniel n’a ni le courage ni la force. En effet, la crainte que la toux n’expulse les intestins avec du sang grandit de jour en jour. Et il arrive parfois que l’inséparable salive sur sa langue se disperse. La toux gémissante frappe les murs et lui revient comme un boomerang. Quand il parle, sa voix n’est pas aussi tonique. Il presse sa narine quatre ou cinq fois, joint son pouce et son index, essuie le mucus liquide qui a visiblement coulé du bout de son pouce sur le bord arrière de la chaise.

Voilà ce qui s’est passé l’année dernière. Leur fille unique, qui ressemblait trait pour trait à sa mère, est allée comme tous les jours à la fac et n’est pas rentrée à l’heure le soir. Pour la joindre par téléphone, le père essaya, mais sans succès. Il appela donc son fils pour y parvenir. Son fils rejeta d’emblée la demande de son père, disant qu’elle n’était plus une gamine à craindre. Et sa femme, ce soir-là aussi, faisait la vaisselle comme si de rien n’était. Finalement, vers 23 heures, tard dans la nuit, ils reçurent un appel téléphonique.

— Papa ?

— Oui ?

— Tu connais Michel, mon ami, n’est-ce pas ? Je l’ai même amené chez nous une fois. ‘

— Dis-moi ! Je ne m’en souviens pas.

— J’ai donc décidé de rester avec lui. Dis-le à maman. Je serai à la maison dimanche si je peux. Elle a raccroché le téléphone.

Il se sentait comme si on lui avait soudainement coupé une branche, bien feuillue. Il se souvient être resté longtemps assis dans sa chaise préférée ce soir-là. On peut dire que sa toux infernale a dû commencer ce jour-là. 

Puis vint le tour de son fils.  ‘J’ai trouvé du boulot à Mulhouse’, disait-il le mois dernier, mais le père ne se rappelle plus le jour. 

– C’est bien. Mulhouse n’est pas loin d’ici. Si tu pars à 7 heures, ça te suffit amplement pour être à l’heure au travail - dit-il à son fils.   

— Quoi… 250 km par jour ? Je ne peux pas faire ça. Je préfère rester sur place et faire ça plutôt que de faire 250 km aller-retour tous les jours. Si j’ai le temps, je vous verrai le week-end.

— Pourquoi ? Est-ce que tu as aussi trouvé une petite amie, dis-moi franchement.

Le jour même, il est parti, coupant toutes ses relations avec son foyer et les siens. Et sa mère, pour peu qu’elle l’ait voulu, aurait pu changer la décision de son fils. Elle n’a rien fait et est restée muette comme à son habitude. Pour compenser le manque après le départ de sa fille, sa femme a apporté un chien, mais pour son fils elle a apporté un chat, en vérité pour augmenter la fréquence de la toux de son mari. Peut-être savait-elle tout, qui sait ? Elle assiste à tous les spectacles de la maison, non pas en tant que protagoniste, mais plutôt en qualité de simple spectatrice, de complice silencieuse.

On ignore combien de temps s’est écoulé depuis qu’il s’est assis ou assoupi sur la chaise. Lorsque la sonnerie du téléphone est venue le réveiller, le jour s’est déjà levé. En fait, il vient de loin, de l’Inde, plus précisément de l’Inde française du XXe siècle. Il parle donc le français, ainsi que la langue de sa région natale. Cette connaissance de deux langues lui donne l’opportunité d’être interprète de temps en temps dans l’administration où le service est requis. C’est ainsi qu’il a été appelé par la police des frontières il y a quelques minutes :

— Monsieur Daniel ! Bonjour. Je suis Jaques Trinidad, garde-frontière, on a besoin de vous pour une mission d’interprétation, vous pouvez venir ?

— Quand ?

— Aujourd’hui, dès que possible ?

— D’accord.

—-

La toux semble s’être un peu calmée. Cette nuit, il a mal dormi et s’est senti fatigué. Cela dure depuis quelques années. Avec la télécommande, il en a eu assez de changer les chaînes de télévision les unes après les autres par TF1, Antenne2, FR3, RTL9. Il choisit alors la chaîne tamoule, mais malheureusement, là aussi, ceux qui lisent les informations semblent de plus en plus désireux d’utiliser le mot « sensation ». En colère, il retourne sur RTL. C’est l’émission « ça peut vous arriver ». Un homme du même âge que M. Daniel raconte en toussant par intermittence comment un dépanneur venu réparer leur machine à laver a fini par escroquer une énorme somme d’argent.

Monsieur Daniel Ramasamy ne se souvient pas à quel âge la toux a commencé. Mais la quinte de toux n’a commencé que récemment. Cela vient toujours à l’improviste. Pendant ces quelques minutes, il a l’impression d’être possédé par un démon, et en plus il s’en lasse. La semaine dernière, un jour, la toux a semblé s’apaiser après un verre de whisky. Depuis, chaque fois que la toux arrive, il s’abrite derrière cette ambroisie. Ainsi, ayant senti que la toux frappe à la porte, il ouvre le mini bar du salon, prend une bouteille de whisky et un verre, s’assied sur sa chaise habituelle de la table à manger. Juste à ce moment-là, un « hmm » vient de derrière lui. Il tourne la tête, il s’agit de sa femme, de qui d’autre ?

Cela fait déjà trente ans que le couple s’est marié, comme le veut la tradition hindoue. Dans les premières années de leur vie conjugale, elle appréciait tout ce qu’il aimait : la nourriture indienne du Sud et du Nord, épicée et pimentée comme lui : riz, colombo, curry, chapati, Naan, Laddu, Halwa, chai Masala et ainsi de suite. Elle voulait aussi regarder les films des acteurs et actrices indiens qu’il aime. Mais quand elle a constaté que la toux prenait M. Daniel Ramasamy dans sa main, elle n’a pas pu supporter cela, elle a commencé à détester tous ses favoris, y compris sa chaise préférée. Elle a alors élaboré de nombreuses tactiques pour exprimer sa colère envers lui, l’une d’entre elles étant de s’éclaircir la gorge.

Comme la prochaine étape consiste à mettre en œuvre, en essuyant plusieurs fois le visage, elle s’est rendue aux toilettes et s’est mise à uriner, en émettant délibérément un bruissement gênant. Si c’était l’autre fois, il l’aurait peut-être grondée, mais aujourd’hui il n’a ni le courage ni la force d’exercer son pouvoir sur elle. Pour échapper à cette épreuve indésirable, il se réfugie dans le reste du whisky. Il a encore changé de chaîne de télévision. La série « Nestor Burma » est diffusée sur « Antenne2′. Guy Marchand, qui joue le rôle de “Nestor Burma”, a presque le même âge que lui. Néanmoins, il est très sensible aux femmes. Même s’il garde ses distances, les femmes l’aiment et le courtisent. Leurs deux lèvres — comme si elles avaient été entraînées plusieurs fois — sont pressées l’une contre l’autre et contre ses lèvres. Après quelques secondes, ils se séparent. Ensuite, comme d’habitude,  “Guy” pose son chapeau sur une table à côté de lui, et la femme l’embrasse en déboutonnant sa veste. Une femme soupçonnée par la police d’avoir assassiné son mari, l’associé d’une société d’import-export, sollicite les services de “Nestor” pour l’innocenter, voilà l’histoire. M. Daniel n’a pas besoin de regarder le reste. Il est certain que l’épouse a tué son mari. Du fait de l’attitude de sa propre femme qui le conduit, depuis quelques mois, à avoir de telles convictions.

Comme il s’y attendait, elle est sortie de la salle de bains et l’a regardé, ce qui signifie : “Tu es toujours assis sur la chaise ?”. Il en est conscient. Mais dans son esprit résonne l’appel téléphonique reçu plus tôt, selon lequel il doit être au poste de la Police Aux Frontières à onze heures et demie, ce qui signifie qu’il doit être à l’arrêt de bus dans la prochaine demi-heure. La dernière fois, un gros agent, tout en lui pinçant une ampoule rouge au coude, lui a demandé de respecter l’heure. Il s’est donc levé, est allé aux toilettes et a allumé la lumière. La peur de la lumière a fait grimper deux cafards au plafond, dont l’un pouvait à peine être déplacé. Devant le miroir, ses yeux étaient rouges et gonflés. Il n’y avait que de l’air dans le dentifrice. Heureusement, ses deuxième et troisième essais lui ont permis de se brosser les dents.   Avec l’eau dans ses paumes, il s’est lavé le visage. Après avoir pris un copieux petit-déjeuner, s’être habillé de tout ce qu’il fallait, il a quitté la maison. Le ciel est couvert. Il ne pleut pas vraiment, mais c’est menaçant. Un volatile s’est envolé tout seul. La route goudronnée, trempée par la pluie de la veille, repose paresseusement.

À l’arrêt de bus, une femme africaine avec un bébé dans le landau et deux adolescentes font les cent pas. Il ne peut pas dire d’où vient l’Africaine, si elle est d’un pays colonisé par la France ou d’ailleurs. L’un des problèmes qu’il rencontre depuis vingt ans est de deviner la patrie des Africains. Puis il y a deux autres filles qui se sont habillées sans tenir compte du temps : un morceau de tissu pour couvrir leurs seins tombants, et une jupe courte en jean, comme portée à contrecœur, avec une ceinture de rex rouge astucieusement attachée pour éviter le risque encouru. Les filles sont en train de mâcher un chewing-gum dans la bouche et, de temps en temps, l’arrêtent entre les deux lèvres et font une sorte de ballon, qui explose et se colle à l’embout, le récupérant à nouveau et l’enfonçant. Son attention a été attirée par un paulownia. Au pied du tronc, un mille-pattes tente de l’escalader et tombe au sol à chaque tentative. Les branches se balancent à l’occasion sous l’effet du vent et, dans leur mouvement, pompent l’eau de pluie, telle qu’elle attend d’être versée.

— Vous avez l’heure monsieur, une fille d’entre elles s’est approchée de de Monsieur Daniel et lui a demandé l’heure.

— Oui, il est onze heures moins dix, a-t-il répondu.

Le temps qu’il regarde sa montre et dise à la fille l’heure exacte, le bus est venu et arrêté.. Les autres ont laissé passer Monsieur Daniel et la jeune mère africaine avec son bébé dans la poussette, en premier. Il a une carte de transport gratuite pour les personnes âgées, et la machine l’a validée en émettant un bip. Heureusement, à cette heure de la journée, de nombreux sièges sont vides, et il en choisit un près de la fenêtre. Il est très fatigué. Après quelques secondes, il s’est endormi en émettant un léger sifflement. Quand il se réveille, le bus s’est arrêté à un arrêt du centre-ville. Ceux qui sont descendus courent pour attraper le “tram”, ceux qui ne peuvent pas courir, font des pas rapides, certains courent dans la direction opposée vers un autre bus, d’autres montent dans son bus et cherchent des sièges vides. Il suppose que tous ces gens traversent avec une certaine audace les solitudes qui les entourent et se traînent dans cette fichu boue.

Une vieille femme qui est montée dans le bus est venue s’asseoir à côté de lui et disait “Désolé”. M. Daniel prend place correctement et hoche la tête en signe d’acceptation de son comportement digne. En face de lui, se trouvent deux vieilles femmes qui doivent avoir le même âge que lui. En effet, la plupart des passagers du bus sont âgés. Ce sont des oiseaux, qui profitent de l’occasion pour déployer leurs ailes, afin de ne pas être arbitrairement incarcérés dans les cages des solitudes. Dans dix minutes, il pourra se présenter au bureau des gardes-frontières, qui se trouve sur la rive du Rhin, pense-t-il.

— Un étranger qui, jusqu’à hier, était locataire comme moi est aujourd’hui devenu propriétaire d’une maison. D’ailleurs, je ne l’ai jamais vu aller travailler », dit l’une des femmes à sa voisine.

— ça ne m’étonne pas. Si nous faisons des naissances comme eux chaque année, nous pouvons aussi en acheter une sans problème. Qui profite de tous les impôts que nous payons, vous savez ?

— Excusez-moi mesdames ! Vous savez, pourquoi votre voisin étranger, a-t-il beaucoup d’enfants ? Si vous le désirez, je peux vous dire le secret.

–  « …. »

Leurs visages révèlent qu’elles ne veulent pas que M. Daniel s’immisce dans leurs affaires.En tout cas, il s’est résolu à partager son savoir dans cette affaire.

— La cause de l’aspiration de certaines personnes à avoir plusieurs enfants est un moyen de conjurer la solitude qui s’approche à la même vitesse que le départ de chaque enfant. C’est un moyen de combler le vide laissé par ceux qui sont partis.

Ils froncent les sourcils comme pour rejeter son intervention. Le bus s’est arrêté à l’endroit où il doit descendre.

Au début du pont européen, à gauche, les drapeaux nationaux des États membres de l’Union européenne sont alignés, ce qui lui donne le motif de leur union : la peur d’être seul est un problème fondamental de toute l’humanité. De l’autre côté du pont, le Rhin, qui évoque une mer calme, se déplace majestueusement du sud au nord. Le ciel, qui était gris et bruineux peu de temps auparavant, est devenu bleu et lumineux malgré la présence de quelques nuages ici et là, et l’on dirait que la moitié du ciel a été tirée et attachée de l’autre côté du Rhin. Le soleil tape impitoyablement. Les véhicules des deux côtés de la route roulent avec une férocité inouïe. M. Daniel se dirigea vers le trottoir situé à droite du pont. Il continue à marcher et arrive au début du pont. Il est juste devant le bureau de la police des frontières, dont il commence à radiographier les scènes dans sa tête, d’un bout à l’autre : un des policiers l’attend, regardant sa montre par moments. Un ou deux Tamouls captifs qui ont tenté d’entrer illégalement en France attendent, agonisants, de répondre aux demandes de renseignements. Dans la même situation, il voit aussi d’autres étrangers. L’un des policiers attend peut-être même un interprète pour eux. Ils s’inquiètent de la nécessité d’appliquer correctement la loi.

Le Rhin coule tranquillement sous le pont européen. Dans l’eau, il voit des nuages sales qui semblent avoir été rincés à dessein. Les barges, qui semblent avoir été trempées de noir au bout de la queue, rugissent dans le cœur de Monsieur Daniel. La nudité du fleuve le fascine. Les vagues montantes se condensent en bulles, qui se fendent à la vitesse de l’eau, puis des blocs d’écume descendent dans son âme sous forme de salive. L’esprit frappé trébuche dans le tourbillon du fleuve. Un air frais et agréable venant d’en haut, semble vouloir le libérer de sa détention de solitude. C’est agréable. Il lève les yeux et voit le ciel. Il contemple une dernière fois le poste de la police des frontières et descend vers le fleuve.

Le soir, un agent de la police des frontières française a appelé chez eux et a demandé si « Monsieur Daniel » était à la maison. Madame Daniel, comme si elle ne voulait pas lui répondre, a gardé le silence. L’agent poursuit : « Nous l’avons appelé pour une mission d’interprétation, mais il ne s’est pas présenté ». Décidant de rompre le silence, elle lui dit : « Vous n’avez qu’à lui demander, je ne sais pas » et a raccroché le téléphone. Quelques minutes plus tard, elle s’est assise pour la première fois sur la chaise habituelle de son mari. Elle pensait à préparer son plat préféré pour la nuit.

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La fumée (nouvelle tamoule) – par Manjunath

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                                                                          La fumée

                                                                                                       – Manjunath

(L’auteur, Manjunath, est par excellence d’un lecteur vorace et polyvalent, d’un critique avisé et d’un grand voyageur. Et bien sûr, l’un des jeunes écrivains tamouls très prometteurs de la nouvelle génération, originaire de Pondichéry, en Inde. Il écrit à la fois des poèmes, des nouvelles et des essais dans des revues littéraires du Tamil Nadu. Son premier recueil de nouvelles intitulé Kuthiraikaran puthagam, ou le livre de l’homme de cheval a été fort apprécié. Professionnellement, il est pharmacien dans un hôpital gouvernemental de médecine siddha [ayurvédique] à Pondichéry.)

« Depuis deux jours, étant donné que je n’ai pas d’argent, bon nombre de mes demandes restent sans réponse. Je me sens tendu. Quiconque je vois, je me mets en colère. »

La fatigue et l’ennui se sont unis pour mettre Manikkavelou sous pression.

« On ne pourrait pas survivre sans cette merde ? » Même aller aux toilettes devient difficile à ce moment. De ce fait, les trois quarts des jeunes qui ne parviennent pas à arrêter de fumer se retrouvent dans une situation difficile, n’est-ce pas ? Pour l’instant, je n’ai que vingt roupies en main, avec lesquelles je ne peux pas tenir plus de trois jours.

Il est huit heures du matin, Manikkavelou, un jeune célibataire, gémit dans sa garçonnière d’un quartier animé.

« Eh bien, il faudra au moins une demi-heure pour que mes amis se réveillent. Donc, avant cela, je dois résoudre mon problème. »

Près du stand de thé Soubbou, c’est là qu’on le trouve. D’abord, il faut aller tout droit, en tournant à gauche, si l’on va vers la droite, on pourra voir ce que l’on cherche au bout. Manikkavelou ne peut même pas marcher rapidement. Le corps paraît-il pesant. Il se sentait si fatigué et épuisé comme celui qui travaille dans une ferronnerie, se laissant fondre sur son lit, lorsqu’il rentre chez lui après une dure journée.

La respiration devient difficile. Le cœur s’est mis à battre rapidement. Le sentiment que ce qu’il cherche sera bientôt dans sa main sème une sorte de folie dans sa façon de marcher.

« Donnez-moi une cartouche filtrante », dit-il en tendant sa monnaie au buraliste. La cigarette est restée joliment collée dans sa bouche grâce à la viscosité de sa lèvre. L’allumette qu’il vient d’allumer est brusquement éteinte par une bouffée de vent venue de quelque part. Cette fois-ci, avant de gratter l’allumette, il a pris un moment pour faire barrage au vent avec sa main et a inhalé la fumée plus profondément à de courts intervalles, afin que la cigarette puisse prendre feu. De plus, il est maintenant entouré non seulement de fumée, mais aussi d’une bonne odeur.

En prenant une plus grande bouffée, son cœur entier s’est rempli de fumée. Dès lors, toutes les cellules de son cœur ont commencé à se sentir. Le rafraîchissement qui s’infiltrait dans chaque parcelle de son muscle lui donnait l’impression d’être la seule personne dans l’univers.

Il a laissé sortir la fumée, mais pour l’inhaler le deuxième, il s’est donné du temps, de sorte qu’une certaine forme de vivacité a embrassé le corps. Et le cœur s’est mis à déborder d’extase.

Sa respiration est revenue à la normale de même que la circulation s’est rétablie après l’élimination du blocage du canal. Il a ressenti une telle force, comme si le corps avait reçu du sang. La joie et la fumée se sont répandues sur son visage. De plus, on pouvait également voir une sorte de noirceur sur son visage.

Soudain, quelqu’un a tapé fort sur la nuque.

Énervé par le lourd coup qui lui a été porté d’une main brutale, il s’est retourné rageusement pour voir si la personne qui l’a frappé serait un ami. Cette fois, il a reçu un puissant coup de poing au visage.

«  Pourquoi, tu me regardes comme ça ? »

« … »

« Tu penses que tu es un grand gars ? On dirait un lettré. Mais, quel chien ! »

« ….. »

« Tu ne sais pas qu’il ne faut pas fumer en public ? »

« Monsieur… laissez-moi partir. Je ne fumerai plus en public, monsieur. »

« Peu importe, combien de fois on vous l’a dit, vous ne changerez pas. Au poste de police, il faudra vous frapper sur les genoux, et c’est ainsi que nous pourrons vous corriger. Monte dans le van ! »

*                            *                            *                            *

La jeep est arrêtée devant le bâtiment rouge.

« Aroumougam ! » appelle l’officier au gendarme, puis « combien sont-ils ? Dis-moi ! » demande-t-il.

« Monsieur, nous avons interpellé un total de dix-huit personnes lors de notre ronde de 8 h à 10 h ».

La réponse du gendarme fait taire l’officier supérieur.

« Quelle que soit la manière dont on le dit, vous ne changerez pas. Il est interdit de fumer dans les lieux publics, le saviez-vous ou pas ? »

« … »

En Malaisie et à Singapour, vous devez payer une amende si vous crachez dans un lieu public. En dehors de cela, il existe une loi qui prévoit une peine de prison pour les fumeurs. Donc ils ont une bonne tenue de leur pays. Si vous étiez patriote, vous ne feriez pas une telle erreur ici, hein ?

« ….. »

« Ne sais-tu pas que fumer est mauvais pour le corps ? » —Le haut fonctionnaire semblait poser la question à Manikkavel.

« Je ne sais pas… monsieur ! » – c’était sa réponse, mais il hochait la tête comme s’il savait.

Le commissaire de police qui avait jusque-là parlé avec une certaine colère, s’est assis à la table en posant les coudes et s’est calmé.

« On dirait que vous êtes tous des étudiants. Une chose est claire, nous ne pouvons pas vous corriger, vous ne pouvez vous amender que si vous le voulez ».

« Aroumougam ! »

« Monsieur ! »

« Après avoir reçu leurs signatures et leurs adresses, libérez-les ! Je vais voir notre supérieur.

Le bruit de la jeep qui part se fait entendre.

“Pourquoi avez-vous tous un regard si triste et interrogateur, mon officier crie toujours comme ça.” — on a pu remarquer dans la voix du brigadier un aspect de dureté et d’ordre.

“À votre âge, vous devriez éviter ce genre de mauvaises pratiques”, a-t-il dit. 

*                            *                            *                            *

I Manikkavel n’a plus aucune crainte, tout a été évacué, immédiatement après sa sortie du commissariat à la merci du brigadier. Cependant, il regrette de ne pas avoir pu agir de manière appropriée quelques minutes plus tôt au moment de la situation embarrassante.

“Pas même un centime dans ma main, et je n’ai pas d’autre choix que de retourner dans ma chambre”, murmura-t-il.

Il s’est calmé et s’est assis sur le banc de l’arrêt de bus. » Veux-tu fumer une clope avec tant de difficultés ? — lui demanda le subconscient.  La question du subconscient lui parait raisonnable.

Par hasard, son regard se pose sur le bureau de tabac et sur la petite rue qui le jouxte.

Là, le brigadier Aroumougam, une grosse fumée à la bouche, est en train de discuter sérieusement avec une personne.

Traduit du tamoul en français par Krishna NAGARATHINAM

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Quintessence et Initiation

Par défaut

                    – Francis MANET

(L’existence précède l’essence, c’est vrai ! Mais il arrive que l’on se laisse emporter par l’essence)

Marcel ne m’a pas attendu. Le feu de bois est déjà pris dans la pièce à l’atmosphère bien inhospitalière, l’air est encore bien cru et la lueur blafarde. L’aube peine à dissiper la nuit dans cette matinée d’hiver qui s’annonce grise. Il est huit heures un quart, je viens d’arriver après une heure trente de route.

Peu importe, mon cœur est en joie, je vais pouvoir distiller ma récolte de mirabelles, enfin aller jusqu’au bout du processus qui m’avait échappé jusqu’à maintenant faute d’avoir eu l’occasion. Et c’est ce que Marcel m’offre, me montrer et faire à moi. Nous échangeons quelques mots et puis tout de suite il faut s’y mettre, la journée va être longue. Je l’accompagne à son domicile situé à cinquante mètres de là. La brouette est chargée d’un tonneau à destination du local aux alambics. En tout trois tonneaux soit cent vingt à cent trente litres de la précieuse matière.

Une casserole en guise de louche nous sert à transvaser les fruits et ainsi à remplir la cuve de cuivre, une sorte de cocotte-minute géante. La tiédeur qui s’échappe du fourneau sous l’alambic qui se fait sentir me donnant le sentiment d’être accueilli par le feu. Le premier alambic est fermé. Une fois rempli, Marcel me met à la manœuvre et j’installe le couvercle sur la marmite. Le moût de mirabelle va cuire, jusqu’à ébullition. Conscient du moment privilégié auquel je participe, je n’en perds pas une et j’admire au passage la beauté de ce couvercle dont la forme n’est pas sans rappeler l’oignon, le clocher à bulbe des églises russes. Ensuite, nous mettons en place la colonne, organe essentiel qui va relier le corps de chauffe au condenseur, c’est-à-dire à la cuve froide où baigne le serpentin. Je vois intérieurement l’antique col de cygne qui prolongeait la cornue dans les laboratoires où opéraient les hommes de l’art ! Retour au réel : Marcel peste après le Guy qui est venu la semaine dernière : il a interverti les colonnes : ce ne peut être qu’intentionnel ; drôle d’individu qu’il a été obligé de rappeler à l’ordre pour un vrai nettoyage de l’alambic municipal ! Enfin, ça y est, l’écrou serre parfaitement autour de la colonne. Il n’y a plus qu’à veiller à la conduite du feu. Je l’alimente prudemment avec des quartiers et des bûchettes de charme, morceaux de bois de trente centimètres, bien fendus et parfaitement secs que j’avais pris pour du hêtre ! Sa matière bien dure et sèche convient parfaitement.

Ça y est tout est en place. Le processus est bien en route. Pour finir, Marcel installe une bassine en dessous de la cuve du condenseur. Nous faisons de même avec le deuxième alambic. Les fruits sont différents, Thérèse les a apportés. Il y a mirabelle et mirabelle. On verra bien ce que cela va donner.

Le temps passe à faire de menues choses, je nettoie le tonneau à grande eau. Tout dans ce local transpire l’expérience acquise dans les siècles successifs : l’eau surgit de la fontaine du village après un dernier passage à l’abreuvoir contigu traverser le mur de notre officine et se déverse avec force dans deux grandes auges à l’intérieur. Elle apporte sa musique cristalline dans un murmure incessant. Sur le mur qui lui fait face, c’est le domaine de messire le feu, son opposé et son contraire. Il se consume sans faire de bruit dans les fourneaux. Ces deux-là sont parfois alliés, souvent ennemis. Ici, l’eau est se fait alliée et douceur, elle fait tampon entre le feu et la matière dans un bain-marie qui enveloppe douillettement le chaudron. Les fruits d’or mijotent doucement dans cette opération dont on a oublié la noble origine du mot : la cuite. Et puis c’est encore l’eau qui apparait grâce au feu, pas n’importe laquelle, car, elle nait des effluves de la matière : Les vapeurs s’échappant de la matière délicatement en fusion finissent par l’effet de la condensation à retrouver l’état liquide. Et miracle, un précieux condensat se met à couler dans un petit récipient mis à l’intérieur de la bassine. La chaleur du feu a fini par transmuter la matière pour lui faire exprimer de brûlantes vapeurs qui elles-mêmes ont été douchées par la fraicheur de l’eau qui court.

Assurément, cette eau porte un nom spécial, communément c’est l’eau-de-vie, dont bien sûr il ne faut pas abuser ; la cuite peut s’avérer grave, voire mortelle. Les quatre éléments, la terre qui a donné son fruit, l’eau, le feu et l’air ont collaboré pour nous offrir la quintessence. Le chiffre cinq s’impose. La doctrine des signatures si connue au Moyen âge et qu’affectionnait Paracelse nous met sous les yeux que ce chiffre qui signe cette opération n’est pas un hasard. Il exprime la beauté et la qualité, la perfection même ; il n’est qu’à observer une rose pour comment le cinq participe à la nature de la rose et consacre son harmonie. Je n’irais pas plus loin sur ce terrain-là, tant de merveilles portent en elles leurs mystères comme les rosaces des cathédrales ou même jusqu’à l’humble rosée dont les racines grecques nous disent que son nom signifie force, soit dit en passant. Mais pour l’heure, comme on apaise la fièvre en mettant des compresses d’eau froide ou aussi comme dans un ciel d’orage aux lumières si contrastées quand tout d’un coup s’abat la bienfaisante pluie d’orage qui transforme l’atmosphère suffocante et moite en une ambiance délicieusement respirable, le précieux liquide sort du condenseur. Marcel y a installé le zouave, ainsi appelé, car il va bientôt avoir les pieds dans l’eau. Petit clin d’œil bien à propos aux célèbres inondations parisiennes. Sorte de tube dans lequel flotte le densitomètre pesant le degré d’alcool. Le premier jus est recueilli dans un petit récipient ; impropre à la consommation, il contient de l’éthanol jusqu’à soixante-quinze degrés, ainsi se finit la première passe. Et puis jusqu’à la dernière goutte.

Ensuite le feu est arrêté et nous débarrassons le moût qui a exprimé tout son suc en versant la bassine dans un plateau en fer et permet de l’évacuer par une trappe. Elle est alors reprise par le courant d’eau qui s’est fait sous terrain sous la maison. J’admire les détails montrant à ceux qui veulent bien le voir toute l’expérience des hommes de l’art. Le feu, l’eau et le retour à la terre maintenant. Marcel me raconte qu’auparavant il y avait six alambics dans le village ! j’imagine les ambiances du bourg quand chaque grosse famille avait son alambic comme chez mon grand-père à Bruley. Je nettoie la cuve avec de la cendre constituée de potasse, une excellente lessive du temps jadis et ensuite tout cela est passé à grande eau.

Mais nous n’en avons pas fini avec le précieux liquide qui est remis dans la marmite et nous refermons la cuve pour la deuxième passe. L’opération reprend avec le feu, beaucoup plus léger. Et toujours le même miracle le liquide apparait. Il faut contrôler le débit qui doit être de la taille d’un brin de paille. Nous goûtons régulièrement pour vérifier la qualité. On arrête la distillation à trente-cinq degrés avant les produits de queue moins volatils que l’alcool et qui gâcheraient la production. Ainsi se finit la deuxième passe.

Je questionne le Marcel qui me parle du temps jadis et de ses relations avec les douaniers, les rats de cave ! Dans une bonne intelligence bien française, ceux-ci lui ont prodigué moult conseils pour faire les choses en règle et comme il dit si bien, pour tricher intelligemment. Les langues se délient de plus en plus. Je dois sortir prendre l’air et m’aérer la tête. Dominique et sa fille nous ont rejoints pour prendre quelques photos. Je reviens, ce n’est pas encore fini. Il reste à ajuster le degré d’alcool. Une opération finale faite de pesée d’apports d’eaux et de séance de dégustation. La question est simple : à quel degré est-elle la meilleure ? Mais la réponse se paie comptant ! Heureusement, nous avons pris notre casse-croûte. À l’extérieur, le soleil luit et embellit la beauté du cuivre. Le moment est unique, un air délicatement parfumé dans la lumière, chaque chose est à sa place et chaque personne sait ce qu’elle doit faire. Je viens d’être initié. Merci Marcel.

Je suis pris de nostalgie pour le temps jadis, pour la lignée de mon grand-père, pour les anciens qui devaient faire de bien belles fêtes en hiver quand il faisait bien froid. Le moment rêvé pour accueillir et célébrer ces fruits gorgés de soleil. Je reste saisi et fasciné par cette technologie inventée par les Arabes qui ont su faire exprimer la subtilité des fruits et des fleurs entrant dans les parfums et les eaux de soin diverses. L’alcool ainsi nommé par eux comme le subtil. Il reste de cette journée le parfum indescriptible de cette alliance de la nature et de la création de l’homme. De la perfection qui peut être atteinte dans le fait que l’homme accompagne les processus naturels, en premier celui de la fermentation. Puis, par l’excellence de son art, tire la quintessence d’un fruit récolté avec amour. Et bien sûr l’importance de la transmission ! je suis infiniment reconnaissant à Marcel.

Peut-être certaines de mes observations gagneraient à être plus précises, il faudra que je recommence !