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Inde : bibliothèques privées, livres publics -Julien Bouissou, Le Monde.fr [LE MONDE DES LIVRES] le 15 octobre 2015.

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En Inde, la survie du livre physique passera peut-être par un site Internet. Lenro, lancé en Inde en mars, soit quasiment en même temps que son équivalent français Booxup, met en contact les lecteurs qui veulent s’échanger des livres. Il suffit de taper un ­titre dans le moteur de ­recherche pour ­savoir lequel de ses voisins le détient. Lenro veut transformer les étagères de milliers d’individus en une bibliothèque géante. « Je suis un grand lecteur et je trouvais toujours frustrant de ranger mes livres sans pouvoir les réutiliser ni en parler », explique le fon­dateur de la start-up, Saurabh Hooda, un jeune ingénieur en informatique qui a quitté son travail pour se consacrer à cette aventure.

Avec cette application, poursuit-il, « les clubs de lecture peuvent s’improviser à chaque coin de rue ». Saurabh Hooda espère qu’elle fera gagner du temps et de l’argent à ses utilisateurs. Lenro a noué un partenariat avec le site américain Goodreads, une communauté de lecteurs qui s’échangent sur ­Internet des conseils et des appréciations, réinventant ainsi le club de lecture. ­Aakanksha Kulkarni Panigrahi, l’animatrice du Delhi Book Club, qui confie être « très possessive » avec ses livres,reconnaît que Lenro permet de « découvrir de nouvelles œuvres peut-être moins connues sans avoir à les acheter ».

Dans un pays frappé par la censure, qu’elle émane du gouvernement ou de groupes de pression religieux, Lenro permet de s’échanger en toute discrétion les livres bannis. En 2014, la maison d’édition Penguin avait obtempéré à la demande d’interdiction, par un militant nationaliste hindou, de l’ouvrage The Hindus. An Alternative History, de Wendy Doniger(non traduit), sans même attendre que se tienne un procès. Les exemplaires avaient été retirés des librairies et ­envoyés au pilon. En début de semaine, à Bombay, des nervis du Shiv Sena, un parti d’extrême droite ­régional, ont attaqué, en l’aspergeant d’encre, un journaliste indien qui s’apprêtait à participer, aux côtés de ­l’ancien ministre pakistanais des affaires étrangères Khurshid Mahmud Kasuri, au lancement de ses Mémoires. Il y a fort à ­parier que certaines librairies n’oseront pas mettre en vente le livre de peur d’être ­saccagées.

Quartier par quartier

Les fondateurs de Lenro démarchent universités et écoles, avancent kilomètre par ­kilomètre, quartier par quartier. Car pour eux, la concentration d’utilisateurs est un paramètre central. Plus cette dernière est élevée, plus le choix de livres à proximité d’un lieu donné est important. Et comme le veut la loi qui régit l’univers des start-up, ce sont moins les revenus qui importent que la fréquence d’utilisation de l’application.

D’autres initiatives d’échange existent ailleurs, comme la transformation, dans ­divers pays d’Europe, de vieilles cabines ­téléphoniques en étagères de troc et, aux Etats-Unis, la mise en place de petites bibliothèques dans les lieux publics, où les passants prennent ou déposent librement les ouvrages de leur choix. Plusieurs villes ­indiennes les ont adoptées. Mais ce système ne permet pas de trouver le titre particulier que l’on recherche.

Mais les utilisateurs (2000 actuellement revendiqués par les fondateurs) s’inscrivent-ils sur Lenro ­seulement pour les livres ? La plate-forme d’échange peut, en effet, se transformer en site de rencontres. Chacun a la possibilité d’ajouter sur son profil une photo, mais l’atout principal de séduction reste sa bibliothèque et ses goûts littéraires. «Nous avons dû intégrer à chaque profil des liens vers les réseaux sociaux pour que les utilisateurs puissent mieux se connaître», indique Saurabh Hooda. ­Aakanksha Kulkarni -Panigrahi, du Delhi Book Club, regrette toutefois que le site, mettant en contact les lecteurs d’un même quartier, n’encourage pas la diversité sociale.

En ce moment, les livres qui s’échangent le plus sont les autobiographies de Steve Jobs et d’Andre Agassi ou la dernière publication du milliardaire américain Warren Buffett, ainsi qu’un manuel de programmation ­informatique. Pas vraiment, a priori, de quoi déclencher des idylles litté­raires ou amoureuses entre utilisateurs.

Merci: Actualité du C.I.D.I.F. – Actualité du C.I.D.I.F. Écrit par Julien Bouissou

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