Romancière américaine originaire du Bengale, Jhumpa Lahiri, qui est un auteur à succès (prix Pulitzer 2000), nous conte dans ce petit livre l’histoire de sa relation avec les diverses langues qu’elle connaît et pratique et, surtout, de sa rencontre éblouissante avec l’italien, une aventure qui l’a marquée profondément.
Du Bengali, sa langue maternelle qu’elle n’a parlée qu’avec ses parents jusqu’à l’âge de quatre ans, elle a dû, arrivée à l’école, passer à l’américain qui est devenue sa langue dominante dit-elle. Dominante, certes, mais bien dominée puisqu’elle a reçu l’un des prix les plus prestigieux pour son livre L’Interprète des maladies.
En d’autres mots est l’histoire personnelle de sa rencontre avec le monde italien dont elle a pressenti toute la richesse et une tournure d’esprit qui l’ont immédiatement séduite. Pendant plus d’une décennie, Jhumpa Lahiri s’est efforcée d’apprendre cette langue sans avoir l’impression de faire le moindre progrès. Des séjours intermittents à Florence, Venise ou Rome lui laissaient l’impression que ses efforts étaient vains et qu’elle n’arriverait jamais à échanger avec les Italiens dans leur propre langue.
A force de désir et de volonté et avec son installation en Italie, l’auteur est parvenue à faire sienne cette langue au point d’écrire directement en italien des textes qu’il lui arrive de devoir traduire en anglais. Elle découvre à cette occasion la difficulté de la traduction : en face de son « original » italien, la transcription en américain lui paraît, dans un premier jet, terne et sans relief. Et enfin, voici son premier livre écrit directement dans cette langue qu’elle avait si longtemps voulu maîtriser, livre publié par l’éditeur Ugo Guanda à Milan. Le circuit est assez surprenant d’une américaine d’origine bengalie, Prix Pulitzer, écrivant dans la seule langue qu’elle ait vraiment choisie et qui est traduite dans toutes les autres langues, y compris dans celle qui l’a fait connaître.
Commençant par une allégorie particulièrement éclairante, ce livre est un parcours que Jhimpa Lahiri nous invite à refaire avec elle afin de découvrir les joies de la connaissance intime d’une autre langue ainsi que la découverte de l’altérité qui ouvre sur tout un monde de nouvelles dimensions.
L’apprentissage d’une langue est une initiation jamais tout à fait terminée, c’est une ouverture incomparable sur les autres et sur soi-même. Ce livre nous le rappelle ou nous l’apprend avec beaucoup de grâce et de conviction.
Roland Bouchet, La Lettre du CIDIF décembre 2015. |