Archives Mensuelles: mai 2020

La tresse, un roman de Laetitia Colombani – Krishna Nagarathinam

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Trois femmes — trois continents — trois vies différentes. La chevelure les relie toutes et c’est l’essence même de ce roman de plage, publié en 2017.

Les cheveux d’une femme indienne qui sont partis de Tirupati, le site de temple bien connu en Inde, arrivés à Palerme, en Italie, où, avec l’aide des mains habiles d’une femme italienne, ils sont devenus la perruque dans son entreprise familiale. Et de là, elle est finalement parvenue à Montréal, au Canada, pour couvrir la tête d’une avocate qui avait perdu ses cheveux à la suite d’un cancer.   En bref, disons que c’est une histoire de cheveux nés en Inde, nourris en Italie et adoptés au Canada.

C’est ainsi que nous découvrons trois femmes de trois continents aux vies sociales totalement opposées. La première est originaire du village de Bhâgalpur, dans l’État indien de l’Uttar Pradesh, qui s’appelle Smita. La seconde, Giulia (Julia), est une Sicilienne de Palerme en Italie. La troisième, Sarah, est une avocate de Montréal, au Canada. L’auteur envoie la chevelure des femmes Dalits indiennes au bon moment, pour sauver les deux autres femmes de la chute tant morale qu’économique. Mais, ironiquement, les cheveux sacrifiés n’ont rien apporté à la vie de leurs anciens propriétaires, si ce n’est la satisfaction de pouvoir les offrir à leur dieu Vishnu, « avec un sentiment nouveau, presque exaltant (à ses pieds, ses vieux cheveux, une petite pile noire de jais, comme un reste d’elle-même, un souvenir déjà.  Son âme et son corps sont purs. Elle se sent apaisée. Bénie. Protégée).

Compte tenu des différences géographiques, sociales et culturelles entre les trois femmes, l’auteur a l’occasion d’en dire long sur leur condition et leur environnement. Parmi les trois femmes choisies, le choix d’une femme canadienne est simple, toute femme moderne du monde peut la remplacer : “Mère, cadre, working girl, IT -Girl, Wonder-woman, autant d’étiquettes que de magazines féminins collent sur le dos des femmes qui lui ressemblent”. Concernant la deuxième femme, Giulia (Julia), elle est le personnage le plus précis puisque sa famille vit de la cascatura (fabrication de perruques à partir de cheveux exclusivement italiens), comme l’exige le roman.

Enfin, ce qui nous intrigue le plus, c’est le choix de la troisième femme : Smita, une Dalit, intouchable du nord de l’Inde, pour offrir sa chevelure aux autres. Il est vrai que chaque jour en Inde, des milliers de personnes parmi les plus pauvres se rendent à Tirupathi pour offrir au Seigneur Vekateshwara la seule propriété qu’elles possèdent, leurs cheveux. Cependant, parmi les plus pauvres, l’auteur préfère choisir une femme intouchable, comme par hasard Smita choisit Bénarès pour aller à Tirupati, avec son maigre argent volé dans la maison d’un brahmane avant de s’enfuir du village. La raison est simple, ce sont des choix qui permettent à l’auteur de parler longuement des choses négatives sur l’Inde qu’elle a lues et collectées ici et là, alors que, lorsqu’il s’agit du Canada ou de l’Italie, l’auteur sait habilement éviter l’influence malsaine.

Selon les mots de l’auteur, les femmes intouchables comme Smita doivent descendre l’allée avec leur visage caché sous un foulard ; elles doivent signaler leur présence dans le village en portant une plume de corbeau ; elles ramassent la merde des autres à mains nues, toute la journée, si elles voulaient envoyer leurs filles, les dernières seraient  battues et renvoyées de l’école… etc., etc.

Cette description utilisée serait plus ou moins la même que si l’on généralisait la condition des Parisiens en prenant en compte la vie des pauvres sans-abris qui vivent sous les ponts de la banlieue parisienne. Et il est également erroné de comparer la vie et les caractères des « Misérables » à la France du XXIe siècle.

Si l’on accepte le destin tracé par l’auteur, Smita, la femme Dalit du sous-continent indien, est condamnée à continuer sa vie telle qu’elle est, alors que les femmes des autres continents ont suffisamment d’esprit pour se sortir d’une situation difficile.

Nous ne pouvons pas dire que tout ce que dit l’auteur est faux, en même temps, on ne peut pas généraliser cette condition de Dalit en Inde, surtout quand un Dalit est le Président de l’Inde.   ____________________________________________________

 

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Quelques témoignages d’appréciation reçus sur la nouvelle Cornoa Chat

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Quelques témoignages d’appréciation reçus sur la nouvelle Cornoa Chat. Un grand merci aux magazines Kalachuvadu pour la publication de cette nouvelle en tamoul et à Short édition pour la publication de cette nouvelle en français

 

il faut des moments de crise comme celle que nous vivons actuellement pour que se révéle le vécu intérieur ! la crise a du bon et l’animal nous provoque aussi à l’humanité. Merci ! – – Francis Manet

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Bravo pour cette jolie histoire toute pleine de pudeur et d’humanité ! – Manillion

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Je viens de la lire : elle est intéressante et bien écrite. Par contre, même si en Inde, on se croise, entre voisins, sans se saluer (d’après ce qu’il dit, mais cela m’étonne),  comme Krishna vit en France, je trouve qu’il pourrait faire l’effort de répondre à la salutation de sa voisine, par exemple. Il présente comme un trait de caractère comme un autre le fait de fuir les autres (un simple sourire le met en fuite, dit-il même), moi je trouve que c’est bien triste : le sens de la vie, d’un point de vue chrétien, c’est d’aimer les autres et d’aller vers eux.

Cordialement.

Miche

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Merci pour le partage de ces écritures conona chat, ça touche a beaucoup de choses, j’adore.

 

– ZOHRA

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Salut Krihna

 

Ton texte est simple et reposant et amène à la sagesse et l’essentiel comme

respirer et regarder Je pense l’envoyer à des amis

Merci à toi

 

Xavier

Bonjour Xavier, bonjour Krishna

 

Chat alors !

Merci pour ce sensible et beau témoignage.

J’ai beaucoup apprécié les détails et le goût de ce bonbon rédactionnel.

L’écriture est compréhensive et bien rythmée.

On se plonge très vite dans la truculence de l’histoire et avec avidité on attend la suite …

 

Frédéric

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Bonsoir Xavier,

Merci pour ce partage. Finalement, il a mis le chat à la SPA ? Ou il l’a adopté ? Est-ce que la voisine va mieux ? C’est écrit de façon très fine et détaillée, avec un ressenti singulier et original. N’hésite pas à envoyer d’autres nouvelles de Krishna.

– Anne MARIETTE

 

 

Corona Chat – (nouvelle ) Krishna NAGARATHINAM

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(Le Corona virus nous impose

Vers la fin du mois de mars ou la première semaine d’avril, je suppose, nous avons commencé à ressentir le poids du confinement. À cette époque, Un ami de Pondichéry nommé Pasubathi, également professeur de tamoul à la retraite, reprochait à ceux qui ne respectaient pas l’enfermement. Aujourd’hui, sa colère est justifiée par la situation actuelle dans certaines villes de l’Inde. Malgré cela, il y a des raisons fondées pour que certaines personnes sortent, surtout en Inde, où un grand nombre de personnes, pour survivre, doivent sortir, trouver un petit travail pour gagner leur vie. Mon expérience ici (en France) a été intéressante. Début avril, après une semaine de confinement, je suis sorti pour chercher quelques produits de première nécessité dans un magasin du coin.Quand j’étais devant ma porte, un miaulement m’a surpris. C’était un chat noir. Le vide rempli dans ses yeux m’a raconté une histoire pitoyable. J’ai donc écrit une nouvelle en français et aussi en tamoul. Les deux ont été publiées dans les magazines respectifs.)

Corona Chat

C’est le début de l’été. La terre est enveloppée de la douceur du soleil. Je me trouve devant la porte d’entrée, la refermant derrière moi, comme un rat des champs qui vient de sortir de son terrier. Le corps qui s’est recroquevillé, tel un escargot dans sa coquille, par l’enfermement infernal, souhaitant savourer cette liberté temporelle, étire ses bras et agite ses jambes, avec un air de défi. Les yeux épuisés, depuis quelques jours, par les images surnaturelles des écrans de visualisation, à la périphérie du courant humain, commencent à vagabonder dans un rayon plus accessible. Un silence total règne dans l’atmosphère et l’on peut se demander si les bruits ne sont pas eux aussi sous l’influence du confinement.
Après une semaine paralysante, c’est aujourd’hui seulement que je peux voir, grâce au ciel dégagé, un soleil souriant. Ces derniers jours, il a plu des cordes, ici. La nature a retrouvé sa fraîcheur à la faveur de la pluie. Même les murs et les toits des habitations semblent être à l’état vierge. Les véhicules garés dans la rue comme du bétail dans une étable, s’illuminent. Les plantes sauvages ont fini par céder aux mouvements des mille-pattes et des papillons, et bougent et se tortillent à l’unisson. Les arbres et les arbustes qui servent de clôtures rendent le lieu si agréable que j’ai du mal à récupérer mes yeux. Le feuillage tremble, une bouffée de vent me traverse en ébouriffant mes cheveux. On dirait que la nature sourit discrètement de sa victoire sur les hommes.
Dans l’intention de détourner mon attention, un corps au pelage dense et doux se frotte contre mes jambes. Je regarde vers le sol. Ce que je vois est un chat. Un chat noir, plus justement. Dès qu’il a repéré mes yeux, un cri plaintif est sorti. Je le connais. J’ai eu de nombreuses occasions de le voir avec sa maîtresse. Mais c’est la première fois que je suis très rapproché de lui.
La bonne santé de l’animal est assurée par la brillance de ses poils. Ses yeux brunâtres luisent d’un éclat vif. Et même les crins de la moustache, qui sont au moins une dizaine de chaque côté, me semblent être fins et bien naturels. Je prends encore quelques secondes pour admirer sa langue toute fine et baladeuse qui joue au jeu de cache-cache. Malgré les apparences, sur son museau flotte une expression pitoyable cherchant un refuge d’amour. Hélas, ayant perdu déjà un quart d’heure sur le temps imparti dans mon attestation de sortie, je n’ai aucune patience pour le comprendre. De plus, cet animal en question est bel et bien la propriété de ma voisine. Je me suis donc dépêché de descendre la rue et j’ai commencé à marcher à grands pas.
Nous sommes confinés chez nous depuis quelques jours. La conséquence du coronavirus est si préoccupante que le nombre de victimes et de décès augmente chaque jour. À son grand désespoir, l’État vient de décréter un confinement total des citoyens. Pour sortir de chez soi, il faudra se justifier. Sur l’attestation de sortie, disponible en ligne, on devra préciser le motif, la date et l’heure de sortie sans oublier de mentionner le nom et l’adresse de la personne. Vu que nous avons besoin de produits de première nécessité, je dois les acheter dans un commerce de proximité. Et ainsi j’ai eu l’occasion de rencontrer le chat de ma voisine, à notre porte d’entrée.
Malgré vingt ans de vie en Europe, tout comme mon combat perdu contre mon habitude de manger du riz, je n’ai pas pu vaincre certains de mes comportements, nourris en Inde. Par exemple, ici en France, vous pouvez tutoyer aussi bien vos parents que les personnes âgées dès que vous les connaissez, mais pas en Inde. Chez les Indiens, quels que soient leurs rapports avec la personne, si elle est plus âgée, il faut la vouvoyer. De même, j’ai un autre problème, et celui-ci concerne ma voisine. J’avais trente ans quand j’ai emménagé avec ma femme et mes enfants à côté de chez elle. Aujourd’hui, j’ai cinquante ans. Je ne me rappelle pas quand ma voisine et moi nous sommes croisés pour la première fois. Il est toutefois évident que, comme vous l’imaginez, nous avons eu de nombreuses opportunités de le faire, tous les deux, au cours de ces vingt années. Comme le veut la culture, lorsque nous nous croisons, c’est ma voisine qui me dit « Bonjour ».
Bien entendu, l’initiative de me saluer lui revient. Elle dira « Bonjour » et s’en ira. Moi ? Cela dépend de mon sens de l’humour. D’ailleurs, notre quotidien en Inde, présent et passé, ne consiste pas à se saluer chaque fois que l’on rencontre quelqu’un. Si les personnes qui se croisent sont de sexe opposé, c’est encore plus terrible. Un tabou, impensable, pas question d’y toucher ! Ces malédictions se sont également installées avec moi lorsque je suis venu en France. Les normes civiques disent qu’il faut au moins un petit signe de tête ou un simple rictus pour répondre à la salutation de quelqu’un. De mémoire, bien sûr, je dois beaucoup de « bonjours » à ma voisine. Supposons que pour cent « bonjours » de sa part, j’ai dû lui en donner une dizaine. Cela dépendra, comme je vous l’ai déjà dit, de mon humeur. Pour être franc, je l’ai parfois délibérément ignorée et je pouvais très bien me passer de son « bonjour » comme si de rien n’était.
Ajoutez au panier… voici autre chose que je tiens à partager avec vous, afin que vous puissiez bien me comprendre. Vous ne me croirez pas, pourtant c’est une vérité comme une autre. Sur cette planète, quelques-uns vivent non pas sur la terre, mais dans l’eau, au fond de la mer. À court de souffle, ils remonteront à la surface pour remplir leurs poumons d’oxygène et puis retourneront d’où ils viennent. En fait, ils mènent une vie ascétique, loin de la société. Soi-disant hors des célébrations, hors des rencontres sociales, hors de tout. Ils sont une espèce à part, ne veulent pas se mélanger aux autres. Vous n’appartenez peut-être pas à ces catégories de personnes. Eh bien, moi oui. Je suis l’une des personnes qui pratiquaient sérieusement l’écart social avant même que le monde ne connaisse le coronavirus. L’écart social entre mon voisin et moi n’est pas basé sur la distance ou l’espace, mais davantage sur mon état d’esprit. À titre informatif, même un petit sourire de la part de quelqu’un pourra détourner mon regard, me faire dévier de mon chemin. Alors pourquoi devrais-je m’intéresser à ma voisine et à son salut ?
Il y a deux jours, j’ai remarqué que la porte et les volets de ma voisine étaient fermés. Je les ai tout simplement ignorés. Aujourd’hui, même scénario. Cela fait de nombreux jours que sa voiture Peugeot 305 reste immobile au parking. Cela pourrait s’expliquer par plusieurs raisons. Si c’était l’été, on pourrait dire qu’elle est partie en vacances. De plus, à chaque fois qu’elle part, elle laisse son animal de compagnie à la SPA. Nous en avons été témoins, ma femme et moi. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Surtout au moment où l’on est en plein dans la crise du coronavirus. Les sorties sont réglementées. Il pourrait donc y avoir une autre raison. Le chat qui se traînait, juste à l’instant devant notre porte, me fait aussi réfléchir.
Au supermarché, avec nos produits, je n’ai pas oublié d’acheter de la nourriture en conserve pour l’animal. En revenant chez moi, l’absence de l’animal à notre porte a minimisé mes inquiétudes concernant ma voisine. À la sonnette, ma femme ouvre la porte en me demandant de la suivre calmement. Nous sommes dans le couloir, après quelques pas, elle se tient à l’écart et me laisse regarder ce qui se passe, je n’en crois pas mes yeux, le chat est de nouveau là, jouissant de boire du lait, versé dans un bol. En réponse à mes paupières levées :
— Il y a quelques jours, j’ai vu une ambulance devant la maison de notre voisine. Je pense qu’elle est à l’hôpital. En conséquence, il n’y a personne pour s’occuper de son chat. Je l’ai donc laissé entrer pour lui donner du lait, dit-elle, voulant me donner une explication à la présence d’animal dans notre demeure.
— Chérie ! On n’a pas le droit de le garder. Nous devrons contacter la SPA, pour qu’ils s’occupent de lui.
En rassurant ma femme, je me penche vers l’animal pour lui dire « bonjour ». L’animal lève les yeux et regarde les miens pendant un moment, puis se met à boire, comme si de rien n’était.