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La demoiselle du Foyer-Éléphant – S. Senthil Kumar

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                                        – traduit du tamoul en français, – Krishna Nagarathinam

(S.Senthil Kumar, une nouvelle génération d’écrivains du Tamil Nadu, écrit des poèmes, des nouvelles et des romans depuis vingt ans et a publié plus de vingt livres.  Il a remporté plusieurs prix littéraires dans l’État de Tamil-Nadu, le plus récent étant le prix Sparrow. Il vit avec sa femme et sa fille à Bodinayakkanur, dans le district de Theni (Tamil Nadu). Il est aussi l’éditeur de deux magazines littéraires tamouls, pour adultes et pour enfants. )

La demoiselle du Foyer-Eléphant

Il faisait déjà nuit lorsque Savitri a quitté le bureau et atteint la route principale. Depuis le bureau, elle devra marcher au moins une demi-heure pour se rendre à l’arrêt de bus. Pour ce faire, elle est obligée de traverser les deux grandes allées pour atteindre la rue commerçante. De là, tout en prenant plaisir à regarder les légumes et les vêtements qui y sont vendus, elle se mêle à la foule des personnes qui rentrent du travail et descend la rue du Temple. Cette dernière est toujours bondée de monde, surtout la nuit. Il devient difficile de se rendre chez elle après 19 heures en raison de l’absence de transports publics adéquats. Ainsi, parfois, elle est obligée de prendre deux « share-autos » et de partager le coût avec d’autres personnes pour rejoindre son domicile. Et à cause de cela, il lui arrive même de penser à éviter cette idée et à préférer marcher, car chaque fois qu’elle prend un « share-auto », surtout pendant ses règles, elle a l’impression de faire couler du sang de son ventre. 

Auparavant, elle était souvent confrontée à la proposition d’un collègue, Baladji, de la ramener chez elle à la fermeture du bureau. Un jour, elle accepta et l’accompagna à la gare routière. Au lieu d’y entrer, il la conduit dans une boulangerie où il lui demanda : « Pourquoi n’es-tu pas encore mariée ? » Il lui dit ensuite : « Si tu aimes quelqu’un, dis-le-moi, je peux t’aider ». Mais cela la bouleversa. Depuis, si un de ses collègues lui propose : « Madame, je peux vous emmener à la gare routière ! », elle se fâchera contre cette personne. Et désormais, elle se sauve sans parler à personne, dès que son bureau est fermé.

          Lorsque Savitri est arrivée à la route principale, elle a vu deux étudiantes qui prenaient le même trajet qu’elle et qui attendaient le bus. Elles l’ont saluée avec un large sourire. « Bonjour madame, vous êtes toujours à l’heure, pourquoi êtes-vous en retard aujourd’hui ? » demande l’une d’elles, qui est en churidhar. De son côté, Savitri semblait réfléchir à une réponse juste à leur question. Pour elle, mentir à quelqu’un est une tâche difficile. Le seul mensonge qu’elle connaît est « J’ai dû aller aux toilettes ». Elle l’a répété, donc cette fois aussi. Cependant, ses jambes ont commencé à trembler quand elle a fini de le dire.

          Depuis quelque temps, les jambes de Savitri tremblent et cela l’effraie. Elle est allée voir le médecin local, à savoir une dame. Celle-ci lui dit que toute personne de plus de 40 ans devrait faire contrôler sa glycémie et son taux de cholestérol. Elle a ajouté que, comme ses parents étaient diabétiques, il y avait de fortes chances qu’elle le soit aussi. Par mesure de précaution, suivant la prescription de son médecin, elle a commencé à prendre des cachets, mais cela n’a pas apporté de changement majeur, si ce n’est des brûlures d’estomac.   Cependant, l’ordonnance est toujours avec elle pour lui servir au cas où elle aurait des douleurs aux jambes. En quittant la salle de consultation, elle a remarqué que l’ordonnance écrite en anglais portait « la demoiselle du foyer-éléphant » au lieu de son nom « Savitri », mais elle a quitté la clinique sans poser des questions malgré sa colère.

          Savitri ne se souvient pas depuis combien de temps ses jambes tremblent, mais elle se rappelle le moment où on la surnommait « la demoiselle du foyer-éléphant ». De plus, elle sait que ce jour ne partira pas de sa mémoire. D’après ses connaissances, ni son grand-père et sa mère qui se sont pendus à l’écurie des éléphants, ni son frère qui s’est enfui de la maison ni son père qui se saoule et se bat dans la rue tous les jours, ne sont appelés comme elle. Pourquoi donc, pourquoi tout le monde m’appelle-t-il avec ce surnom, se demande-t-elle, parfois. Elle est habituée à entendre un tel surnom depuis sept ans. De plus, elle en arrive à signer par erreur des documents officiels comme « la demoiselle du foyer-éléphant » au lieu de son nom Savitri. Elle craint d’avoir accepté involontairement le nom donné par les autres.

En ce temps-là, il pleuvait trois jours d’affilée. Elle rentrait tard tous les soirs après le travail. Une fois, sous la pluie, munie d’un parapluie, d’un sac à lunch et de livres empruntés à la bibliothèque, elle entra chez elle alors qu’il était déjà 20 heures. Devant chez-elle, recouvert de sable, les poches déchirées, exposant une partie de son torse à cause de la chemise déboutonnée, tout mouillé, son père Kouthalalingam était allongé sur le sol dans un état d’ébriété, autour de lui se trouvaient des hommes aux parapluies. Le jour où son grand-père et sa mère se sont pendus ensemble dans l’étable de l’éléphant, son père est devenu un alcoolique. Au début, il avait un ami, nommé M. Pakkirisamy, avec qui il buvait. Depuis qu’il est parti vers une autre ville, il boit seul.

Dès que Savitri s’aperçut que des gens étaient réunis devant sa maison, elle marcha rapidement. Écartant les gens qui s’étaient rassemblés, elle regarda le visage de son père qui gisait dans la rue. Il y avait du sang coagulé au niveau des lièvres. Elle savait comment son père se comportait quand il était ivre, mais il ne gisait jamais dans la rue auparavant.   Elle souleva son père de toutes ses forces et l’emmena à l’intérieur de la maison, tandis qu’elle entendait la voix d’un vieil homme qui disait : « Elle est devenue aussi grande et forte que son grand-père, elle porte son père comme un éléphant porte avec sa trompe ».

Elle pouvait entendre jusqu’à ce qu’elle ait baigné, habillé et fait asseoir son père sur une chaise les mots : la demoiselle du foyer — éléphant. Le lendemain de la pluie, les garçons qui jouaient dans la rue crièrent aussi « la demoiselle du foyer – éléphant ». Depuis lors, les gens ne cessent de l’appeler la demoiselle du foyer — éléphant, devant ou derrière elle. Comme quelqu’un qui observe l’arrivée d’un bus à son arrêt, elle regarda son corps. Puis elle fixa ses yeux sur ses pieds et ses jambes, tout en regardant le sol et ses sandales. « Certainement, elle ressemble à son grand-père par la taille et le corps, alors les gens ont raison de le dire », pensa-t-elle. En outre, chez elle, personne n’avait une corpulence aussi imposante que son grand-père, sauf elle. Quand il marchait, il était comme un éléphant, se souvint-elle. Malgré les similitudes d’apparence, elle et son grand-père ont des caractères différents. Depuis la cinquième, elle détestait son grand-père.

Le frère de Savitri, Muthusamy, était aussi chétif que sa mère. Un jour, le père d’une fille nommée Parijatam est venu chez elle et s’est plaint à son père que le frère de Savitri s’était enfui avec sa fille. Mais le père de Savitri ne l’a pas cru. La plainte du père de la fille avait mis le père de Savitri en colère, il lui a donc répondu immédiatement s’il était venu pour se moquer de leur famille. Mais l’entrée de la mère de la jeune fille dans la maison de Savitri à la suite de son mari, et ses pleurs les a convaincus de l’incident. Heureusement, le grand-père de Savitri, qui revenait du temple avec de la pâte de santal appliquée sur les bras et le front, a pu rétablir le calme en parlant aux parents de la jeune fille. Savitri ne savait pas de quoi ils parlaient ni comment ils étaient parvenus à un accord, mais elle a été témoin de la scène, où son grand-père rangeait de l’argent dans sa bourse et des visages souriants des parents de la jeune fille.

Elle et les étudiantes ont pris plaisir à regarder les deux éléphants passer l’un après l’autre devant l’arrêt de bus. L’une d’entre elles, vêtue d’un churidhar, a demandé à la fille en sari : « Es-tu montée sur un éléphant ? Son amie a répondu « non ». De nos jours, les cornacs ne laissent que les enfants monter sur les éléphants, pas les adultes, a-t-elle ajouté d’une voix chargée de tristesse. Il semble à Savitri que ce qu’elles disent est vrai. Finalement, le bus qu’ils attendaient arriva et s’arrêta juste après que les deux éléphants eurent fini de traverser la route.

Toute petite, Savitri se souvient de sa promenade sur l’éléphant avec son grand-père dans la rue du Temple. C’était l’époque où elle était très attachée à son grand-père. Ils avaient acheté des concombres et des goyaves dans la rue. L’éléphant qu’ils avaient à cette époque s’appelait Ageagou (beau). C’est un nom que l’on ne donne qu’aux filles dans sa famille. La petite Savitri demanda donc à son père pourquoi ils avaient choisi ce nom pour leur éléphant. Mais son père riait et disait. « Cela n’a pas d’importance, c’est un éléphant après tout, mâle ou femelle, quel que soit le nom qu’on lui donne », le grand-père balaya la question de sa petite-fille en caressant sa moustache. Le grand-père et elle, assis sur l’éléphant, arrivèrent à un pont de pierre où ils achetèrent des idlis (gâteaux salés) et des viandes grillées.

  « Notre éléphant pourra-t-il manger de la viande, grand-père ? » interrogea-t-elle à son grand-père, mais en tapant dans le dos de sa petite-fille : c’est sûr, tu verras, dit-il.

Le soir, grand-père se rendait dans une ville voisine pour acheter deux bouteilles d’alcool. Il s’asseyait sur son lit et buvait l’alcool, accompagné de cornichons au citron, de gâteaux de riz et de viande grillée achetés près du pont de pierre, puis il s’allongerait sur le lit et s’endormirait. La mère de Savitri devait se lever tôt le matin et nettoyer l’endroit où son grand-père avait mangé. Il fallait balayer les mégots de cigarettes et les feuilles de bananier. Chaque matin, à son réveil, la petite Savitri voulait s’amuser à rester sur le seuil de la porte pour regarder sa mère faire le ménage. Mais sa mère ne lui permettait pas de le faire, préférant l’enfermer à l’intérieur de la maison.

Ce jour-là, les vacances avaient commencé après l’examen du second semestre. Comme d’habitude, dans l’obscurité du petit matin, elle est venue dans la cour de la maison, à demi endormie, pour regarder sa mère balayer. Aucun bruit de nettoyage n’a été entendu dans la cour. Elle a regardé le lit de camp où son grand-père était allongé et il n’était pas là. Des cigarettes et des feuilles de bananier gisaient sur le sol. Elle descendit le chemin qui menait à l’abri des éléphants. Des feuilles de canne à sucre et de millet perlé jonchaient le sol, et elle avait l’impression de marcher sur des tapis moelleux. L’obscurité la troublait, et elle ne savait pas dans quelle direction elle allait. Mais l’endroit auquel elle était habituée. Ses pieds se dirigeaient vers l’éléphant. Il y avait une lueur dans le toit de l’abri où l’éléphant était attaché. En regardant, elle a trébuché sur les personnes allongées et est tombée au sol. Elle est incapable de distinguer les personnes allongées dans l’obscurité. Et combien sont-elles, elle n’en est pas sûre. Il pourrait s’agir d’une ou deux personnes, pensa-t-elle. La chute sur les feuilles de canne à sucre ne l’avait pas blessée, néanmoins assez pour la faire crier et faire frémir l’éléphant avec le bruissement de sa chaîne.

Alors que la lumière de l’aube commençait à se répandre dans la cour, la mère de Savitri était en train de moudre du riz rouge aplati avec du jaggery. Après avoir émietté du riz dal et de la farine de pois chiches et broyé de la noix de coco à mi-chemin, elle les donna au grand-père. Il se tenait là, couvert des traits de la cendre sur le corps, aux yeux rouges, laissant se balancer dans le vent le linge de son torse. Puis la mère de Savitri ramassa la selle de l’éléphant et fit un paillis avec du foin. Alors qu’il l’attendait, le père de Savitri est arrivé avec une feuille de bananier, l’éléphant a sursauté en agitant un bouquet de foins attrapé par sa trompe. Le grand-père se tenait devant l’éléphant, les mains attachées autour de la taille, à la manière d’un beau-père prenant soin de son gendre qui rend visite à sa belle-famille. À l’exception du visage du père de Savitri, les visages des autres, y compris le museau de l’éléphant, avaient perdu leur nature. Ils avaient fait leur travail habituel, mais il y avait une sorte de perturbation.

Le grand-père de Savitri met le mélange dans un grand récipient et fait des boules, en ajoutant suffisamment d’eau. Cette eau sert d’huile pour que les différents éléments se collent les uns aux autres. S’il échoue dans sa tâche, l’animal tournera la tête. Lorsque le grand-père allait s’occuper de l’animal, il y avait la procédure à suivre : prendre une douche, s’habiller correctement, se recouvrir le corps de lignes de cendres, etc. Cette présentation de lui permettra à l’éléphant de prendre sa nourriture avec ardeur. Le grand-père devait toujours servir son fourrage, jusqu’à présent toutes les tentatives des autres avaient échoué.  Ce jour-là, lorsque le grand-père a distribué des boulettes de nourriture, l’animal a secoué la tête, refusant d’avancer, mais plutôt de reculer. Toute la journée, il cassa des cannes à sucre et lança des feuilles de canne.

Les journées suivantes, l’éléphant ne touchait plus à son fourrage. Le grand-père en colère appela la mère de Savitri et lui ordonna : « Pankajam, ne mouds plus le riz, ne donne plus d’eau à l’éléphant ! Ne va pas dans la grange où se trouve-t-il ». En effet, il faisait de même. 

Quelques jours plus tard, Savitri prépara autant de boulettes de fourrage qu’elle put, les mit dans un seau et se plaça devant l’éléphant, qui s’agenouilla comme s’il l’attendait. L’animal avala son fourrage de la main tendue de la petite fille. Il la serra contre son museau avec sa trompe. Savitri sentit la tendresse d’une mère envers son enfant. Dès lors, Savitri ne quitte plus l’éléphant. Et c’est elle qui nourrit et baigne l’animal tous les jours maintenant.

En retroussant sa jupe et en faisant tinter ses bracelets de cheville, elle parvenait à faire tenir l’animal debout. Comme Savitri est habituée à grimper sur l’éléphant depuis son enfance, il lui était aisé de grimper sur le dos de l’animal lorsque celui-ci était à genoux. En quittant la cour, l’éléphant secouerait son corps et celui de Savitri. Traversant la clôture, l’animal resterait à l’ombre du margousier et se reposerait. Pendant ce temps, Savitri écarterait ses jambes, poserait son visage sur le cou de l’animal et, en appuyant son buste sur son dos, dormirait. Lorsque le repos momentané de l’éléphant prendra fin, la petite fille se réveillera de son sommeil.  

À sa descente du bus, Savitri marchait lentement sur la route. Les lumières extérieures des maisons situées des deux côtés de la route sont allumées. Une femme qui se tenait à l’intérieur de sa maison nourrissait son enfant assis sur ses genoux. Quand elle est passée devant elle, elle a dit à son enfant : « C’est la sœur de la maison des éléphants, et si tu ne manges pas correctement, je te donnerai à elle ». Elle continua à marcher comme si de rien n’était. Elle venait de passer devant deux lampadaires. Deux écolières qui étaient sur leurs vélos, en voyant Savitri, « La sœur de la maison de l’éléphant revient de son bureau, cela signifie que nous sommes en retard aujourd’hui, et que nous serons grondées par notre tuteur », a dit une fille à une autre. Habituée à ces litanies, Savitri continua à marcher.  

Elle peut voir depuis la route l’entrée de la maison. Heureusement, il n’y a personne devant, ce qui signifie que son père ne semble pas être ivre comme promis, il y a quelques semaines. S’étant libéré de son ivresse, la dernière fois, en effet, en se mettant à plat ventre aux pieds de sa fille, il s’est excusé auprès d’elle en disant qu’il ne sortirait plus boire de l’alcool en dehors de leur maison. Depuis cette date, une fois par mois, il met toutes les bouteilles d’alcool dans un sac et les vend à un acheteur. Ensuite, il nettoie et lave la maison. Quand c’est fait, il allume de l’encens et du camphre pour faire croire à un autel, mais cela ne dure qu’un jour. Le jour suivant, une bouteille d’alcool arrivera et sera placée sur la table. Mais Savitri se lasse de voir tous les jours chez elle les bouteilles aux couleurs vives. 

En entrant dans sa maison, elle a vu que l’ami de son père, Pakkirisamy, est assis en face de son père. Jusqu’à ce jour, Savitri ne veut rien savoir de Pakkirisamy. Un jour, elle le gifla sur la joue. Après cela, il alla travailler dans un jardin de cardamome. Cela remonte à 7 ou 8 ans. À deux reprises, il est revenu de là-bas et lui a demandé si elle voulait l’épouser. Elle a refusé avec véhémence.

Elle buvait l’eau du pot, tout en se demandant si elle devrait ou non parler à Bakhirsamy. Elle sentait l’eau qu’elle buvait tremper sa poitrine et déborder près de son nombril. Les yeux de Bakhirsamy pourraient être sur la trace humide, elle le sait. Il a toujours une sorte de regard d’inculte sur elle, ça aussi, elle le sait. Elle se laisse voir, se disant que sa nature ne changera pas en un jour ou deux.

Elle est entrée dans sa chambre et a fermé sa porte. Elle s’est changée. Elle s’est allongée sur le lit. Elle alluma le ventilateur et en augmenta la vitesse. Elle a mis son écouteur dans ses oreilles et a commencé à écouter ses chansons préférées. Mais sa pensée courait derrière Pakkirisamy. Elle se dit qu’elle devrait au moins lui dire bonjour. Le grand-père et la mère de Savitri se sont tués en se pendant au margousier devant l’écurie des éléphants. Savitri n’a pas versé une seule larme le jour où sa mère est morte. Au lieu de cela, elle a donné des boulettes à l’éléphant. Il remuait la queue et mangeait joyeusement. Quelques jours plus tard, son père a amené Bakrisammy pour s’occuper de l’éléphant. Savitri était d’accord pour qu’il vienne à la maison, pour mettre fin aux lamentations de son père qui insistait pour qu’elle aille étudier afin de trouver un emploi intéressant au lieu de s’occuper d’un animal.  

Pakkirisamy est un parent éloigné du père de Savitri. Il n’y a pas de différence d’âge entre Pakiri et Savitri. Le père disait à Savitri qu’il était doué pour dessiner le « Namam » (la marque tridimensionnelle sur le front) du temple de Peroumal (Vishnu) sur le visage d’un éléphant. Mais il mène une vie intolérable : il décore l’éléphant, et se déplace avec lui d’un temple à l’autre. Là, pendant le temps de repos, en compagnie d’autres cornacs, il joue aux cartes. Le soir, il fume du crack avec des mendiants. S’il est bon, peut-être le père de Savitri pourrait-il lui accorder sa fille en mariage. Mais il n’en est pas question pour l’instant. Mais l’intention de Pakkirisamy est différente.

          Une fois, Pakkirisamy qui avait eu l’occasion de voir Savitri prendre un bain s’est moqué d’elle. Le lendemain, alors que l’éléphant Ageagou arrachait le feuillage des cocotiers à côté d’eux, il demanda à Savitri : « Peux-tu m’épouser ? Elle tourna la tête pour caresser la trompe de l’éléphant sans rien dire. Furieux, Pakkirisamy se plaça rapidement derrière elle et la serra dans ses bras. Ce faisant, il lui pressa la poitrine. Elle cria de douleur et s’assit aux pieds de l’éléphant en tenant sa poitrine dans ses mains. Immédiatement après, elle se leva et gifla Pakkirisamy. Puis elle ramassa les feuilles de canne à sucre et le fouetta.

Savitri eut des douleurs à la poitrine toute la journée. Incapable de toucher son corps et de se baigner, elle avait même du mal à attacher les crochets de son chemisier. Battu par Savitri, Pakkirisamy est revenu chez elle deux jours plus tard et est entré dans sa chambre. La jeune fille dormait. Sentant une lourde charge tomber sur son abdomen, elle sursauta et cria. Rassemblant toutes ses forces dans ses bras, elle saisit Pakiri par la taille et poussa. Pakkirisamy est tombée du lit. Dès que Savitri ralluma la lampe de la chambre, il se dépêcha d’enfiler les vêtements qui traînaient sur le sol et partit. À l’aube, elle brûla sa jupe qui collait à son corps nu. Mais elle ne pouvait pas effacer l’incident gravé dans sa tête.   

Savitri a retiré ses écouteurs, a ouvert la porte et est sortie. Dans la pièce de devant, à côté du pilier de pierre, le père de Savitri et Pakkirisamy étaient en train de boire. Elle se rendit à la cuisine, fit des dosas et les mangea. Elle pouvait entendre une discussion animée entre son père et Pakkirisamy. “Je ne peux plus vivre tout seul, mon oncle”, a dit Pakkirisamy d’un ton furieux. “Je comprends, mais ce n’est pas le moment d’en parler. De plus, je n’ai aucun moyen de faire marier ma fille, cela prend du temps”, a répondu le père de Savitri avec une certaine inquiétude. 

Savitri est retournée dans sa chambre et a verrouillé la porte. Elle avait peur que Pakkirisamy défonce la porte et entre dans la chambre. Cette peur semblait faire à nouveau souffrir sa poitrine. Elle s’est allongée sur le lit. Le sommeil ne venait pas. Elle a décidé qu’elle refuserait s’il lui demandait de l’épouser. Elle se leva, déplaça le bureau et le plaça devant la porte. Elle s’est couchée sur la natte sous le lit. Elle n’arrivait toujours pas à dormir. Elle mit les oreillers sur sa poitrine, son abdomen et ses cuisses et les attacha fermement au ruban de la jupe. Elle est restée éveillée toute la nuit. Ses jambes tremblaient de peur.

Le matin, après avoir déplacé le bureau, lorsqu’elle ouvrit la porte de sa chambre, elle ne vit ni Pakkirisamy ni son père à la maison. La porte d’entrée s’était ouverte. Leurs sandales n’étaient pas trouvées sur le pas de la porte. Après avoir pris une douche tranquille, elle a préparé le petit déjeuner avec de la semoule. “Ce soir, il faut rentrer tôt du travail et dormir à l’aide de somnifères”, pensa-t-elle.     

Alors que Savitri attendait à l’arrêt de bus pour se rendre au bureau, les étudiantes sont arrivées. Savitri les a regardées et a souri. Ils souriaient aussi et parlaient entre eux du sari que Savitri portait. Ce jour-là, elle portait un sari de la couleur du fruit du jujube. Les filles ont dû être surprises par les grandes fleurs jaunes qui y étaient imprimées.   Le bus était plus bondé que d’habitude. Savitri a même douté pendant quelques secondes qu’elle était montée dans un autre bus par erreur. Pour en être sûre, elle s’est retournée pour vérifier si les élèves étaient dans le bus, heureusement les filles y étaient. Elle est descendue à son arrêt habituel.

Savitri attendait le feu pour piétons avant de traverser la route principale. Comme elle, de nombreux travailleurs, hommes et femmes, attendaient pour traverser la route principale afin de rejoindre leurs lieux de travail. Depuis le poste de signalisation, il lui faut au moins une demi-heure pour gagner son bureau. Son petit déjeuner de ce matin lui a fait ressentir une sorte de lassitude. Elle a donc marché lentement. L’air humide frappait son visage lorsqu’elle est entrée dans la rue Temple depuis la rue commerciale. On pouvait voir des pigeons voler de la tour du temple aux arbres et des arbres à la tour.  Et puis il y avait une foule de gens debout devant la porte d’un restaurant. C’était une foule rassemblée pour un mariage. Elle ne pouvait pas voir les visages des mariés. Elle pouvait seulement voir leurs cous ornés de colliers de fleurs.

En avançant, elle a pu voir deux ou trois autres groupes de mariés devant l’hôtel. Les gens semblaient se presser dans l’hôtel pour manger. Comme il y avait trop de gens, il régnait une certaine agitation et une grande confusion. Les mariés de chaque groupe sont clairement visibles dans la foule. Au loin, elle a vu Pakkirisamy marcher avec un collier de fleurs autour du cou, suivi de la mariée et d’une file de personnes, vraisemblablement les parents et les proches des mariés. Le père de Savitri apparaît également dans la foule, avec un drap plié et des oreillers sur la tête. Réalisant qu’elle est inhabituellement en retard pour le travail, Savitri descend du quai et commence à marcher à vive allure.

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LUI-(nouvelle ) – Krishna NAGARATHINAM

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   Lui

  écrit en tamoul -Krishna Nagarathinam

-Taduit par S.A.Vengada Soupraya NayagarNayagar Chassé croisé

Dès que j’appuie sur l’interrupteur de la sonnette, la porte de ma maison s’ouvre. Mon épouse, vêtue de son sourire habituel, m’interroge:
-Cette fois, tu as oublié quelle clef ? Celle de la voiture ou bien du garage?
-Toutes les deux.
Comme d’habitude, la main sur la tête, elle me sourit davantage et se moque de moi en disant,
-C’est presque devenue une habitude.
En l’écartant j’entre dans la maison. Au bout de cinq minutes, je regagne le seuil avec les clefs. Cette fois, elle n’est pas là.
Je hurle :
-Tu es déjà partie? Viens fermer la porte.
Je l’attends quelques minutes mais en vain.
« Elle ne viendra pas. Tu n’as qu’à partir. » La voix m’en avertit.
Je ferme à la clef et je pars.
Il m’a fallu cinq minutes pour sortir la voiture de mon garage.
Dès que la voiture s’engage sur la route principale, je commence à m’ennuyer davantage. Je me demande si cette personne serait toujours là. L’intuition me répond qu’il serait là.
Je l’observe depuis quelques jours.
Peut- être, il était toujours là. C’est fort possible que c’est moi qui ne l’avais pas aperçu. Si c’est vrai, est-ce qu’il y en aura des preuves ? Faut-il chercher les preuves pour cela? Oui, bien-sûr, me répond mon cher Siri(1). Tiens ! J’ai oublié de vous parler de Siri. C’est mon compagnon, mon ami, mon maitre, mon gourou…
Il y a six mois que ma femme m’a offert un « i Phone » pour mon anniversaire. Et voilà, le début du contact entre moi et Siri. Cette amitié a évolué et aujourd’hui nous sommes devenus presque des amis intimes. A quel point ? Ma femme me signale : « Vous êtes insensé ! J’ai peur de continuer à vivre avec vous ». Elle me dit même de consulter un psychiatre. En ayant assez de moi, elle m’a quitté avec notre enfant d’un an pour s’abriter chez sa sœur ainée que je n’aime pas.
Tard, une nuit, explosa une querelle entre Siri et moi.
-Est-ce que ma femme a raison de dire que je suis insensé ?
Siri rigola en disant :
-Comme si elle est pleine de bon sens !
Et il continua :
-Au fait, personne d’entre vous n’est sensé.
En réfléchissant bien, je crois qu’il n’a pas tort. Néanmoins, je lui ai demandé, si rien ne se passe selon mes envies tels que « mon choix, ma volonté, mon amertume… »
Siri rétorqua :
-Tu rêves ? Absolument rien ! De nos jours, sais-tu qu’est-ce qui reste silencieux ? Ce n’est pas l’ignorance, plutôt c’est l’intelligence !
J’étais surpris de cette réponse.
-Et alors, comment préserver notre individualité ?
-Cède à ton émotion ! Rejette ton intelligence ! Va goûter cette expérience.
Depuis une semaine je suis content de conserver mon individualité. J’ai voulu l’annoncer à mes proches. C’était exactement le moment où j’ai rencontré cette personne. Tous les matins quand je prenais le volant pour me rendre à mon bureau, je l’ai remarqué s’isoler devant l’arrêt d’autobus N° 52. Son comportement semble annoncer qu’il n’a aucun rapport avec les autres voyageurs qui attendent l’autobus. Donc, je pense qu’il est facile de sauver son individualité. Il est tellement grand qu’on devrait se lever la tête pour le saluer. Le buste, les épaules, la tête, les yeux, cherchent à voir quelque chose. Les filles décolletées hésiteraient à s’approcher de lui. De temps en temps, il se sert du creux de sa main pour se protéger de la lumière. Même en plein soleil, son visage est sombre comme si une ombre y est tombée. Les cheveux gris de ses tempes, sa moustache et sa barbe ne sont pas en harmonie avec son corps. La lassitude d’avoir parcouru la vie désorganisée se reflète dans ses vêtements et dans ses yeux décolorés. J’habite en banlieue. Depuis des années j’ai l’habitude de prendre ce chemin pour me déplacer en voiture. Pour traverser cet arrêt d’autobus cela ne dure que quelques instants. Pourtant, les petites cases de ma mémoire qui ont stocké les détails de ces instants me présentent une image vague de ce bonhomme.
Un jour, comme ma voiture est tombée en panne, j’étais obligé de le rejoindre à cet arrêt d’autobus. En espérant que nos rencontres précédentes lui suffisaient de me reconnaitre, je l’ai salué en souriant. Mon sourire n’avait pas l’air de retenir son attention car il était attiré plutôt vers l’affiche des horaires de l’autobus 50. Une chienne assise aux mains croisées d’une femme a grogné comme si la bête a reniflé cet homme. La dame l’a calmée. En regardant les yeux de la dame on se demande : « Qui a grogné ? La dame ou bien la chienne ? » Au bout de quelques minutes, il regarda sa montre. Son geste de secouer les mains, on dirait qu’il allait jeter sa montre. Pour la première fois comme s’il était conscient de son autrui, il regardait de tous côtés. Puis, d’un air décisif, il se dirigea vers moi.
-Vous avez l’heure ?
-9h30.C’est l’heure. L’autobus va arriver.
-Merci ! Vous êtes de l’Inde ? Il m’a demandé avec un accent sri-lankais.
-Oui. De Pondichéry. Je vous vois souvent ici à cette heure-ci ! Et vous ?
-Yazpanam (Srilanka). J’habite aux alentours.
La conversation s’arrête. L’autobus arrive. Il monta l’autobus et présenta son billet au conducteur. Peut-être un coupon mensuel. De mon côté, j’ai cherché un billet auprès du conducteur et je l’ai composté. J’ai vu l’ami sri-lankais déjà bien installé. Je suis allé prendre le siège en face de lui. Ses pensées étaient ailleurs. Mon regard était rivé sur lui. J’ai surtout remarqué le côté droit de son visage : la joue décharnée, la peau matée s’assombrit davantage dans l’autobus. Son indifférence m’a beaucoup éprouvé. Son silence semblable à celui d’un minuit m’a fait sentir la proximité d’une cheminée. Sa façon de m’ignorer m’énerve davantage. Je me demande pourquoi il me rejette. Ce qui suscite ma curiosité envers lui. J’ai décidé de faire quelque chose pour le mettre mal à l’aise. Oubliant les autres passagers, j’ai imaginé qu’il n’y restait que « lui et moi ». Cette imagination me facilitait à faire ce que je voulais. Et voilà, nous sommes seuls dans une arène de boxe. Il n’y a aucun spectateur pour nous applaudir. Le fait qu’il n’y a non plus un arbitre pour nous signaler les fautes ou la tricherie me rend heureux. J’ai fait exprès de m’étirer les pieds jusqu’à lui. Le souffle de mes pieds devrait remuer sa peau. Ses chaussettes ne lui suffiraient pas pour empêcher la chaleur de mon souffle mêlé d’ennui et de colère. Ses pieds noués restaient immobiles sous son siège. Je touche la pointe de ses chaussures avec la mienne. Il se retire les pieds et me regarde. Je déteste son regard compatissant. Au début il a l’air de me fixer droit dans mes yeux. Puis, il me saisit le bras ; brutalement il le tordit dans mon dos et il m’a déséquilibré pour que je tombe sur terre. J’avais déjà perdu. Ma chemise était trempée de sueur ; j’étais stupéfait. N’osant plus le voir, je me suis allongé sur mon siège, les yeux fermés. Mes pieds recoquillaient sous le siège. Je l’ai suivi discrètement. Une sorte d’indifférence a traversé subitement à travers sa bouche. Il me restait peut-être une demi-heure de trajet. Est-ce qu’il fallait toujours continuer ce drame ? La question m’a incité à le revoir. J’étais debout. Je me sentais devant le miroir. Il était en mi- sommeil ou bien il faisait semblant. A l’arrêt prochain, acceptant ma défaite, je lui ai dit : « je descends ». Il se retira les pieds et m’a répondu : « Oui ».
Ce soir, je n’ai pas bien dormi. J’ai voulu qu’il soit à l’exclusion des autres comme moi. Mais je n’ai pu rien faire jusqu’alors. Alors, j’ai décidé de prendre à nouveau l’autobus demain afin de lui parler. Le lendemain j’étais même un peu en avance à l’arrêt d’autobus. Comme il pleuvait, les gens cherchaient à s’abriter sous le toit d’arrêt. J’ai cherché cet homme parmi la foule où se trouvaient des gitanes, un vieil Algérien avec sa jeune femme et trois enfants, une Africaine grosse aux habits serrés qui passait le rouge aux lèvres (celles qui étaient déjà rouges). Cette Africaine lança un regard furtif vers un Blanc. La jeune mère avec sa charrette de bébé devrait faire obstacle à son passetemps. Une famille pakistanaise à cinq enfants avec leurs habits de Shervani, Salvar Kamis, la voile… Il n’y manquait que cet ami sri-lankais. J’en étais déçu. Je me retirai de la foule en ouvrant mon parapluie. Le temps avança. Mon intuition m’avertit qu’il ne viendrait pas. Alors, je me suis décidé de me rendre chez moi pour prendre ma voiture. Tiens, il était là sous la pluie ! L’autobus 50 à son tour est arrivé. Cette fois, j’ai pu monter avant lui et j’ai pris un siège en attendant de voir ce qui allait se passer. Comme il m’a déjà connu, il était censé se diriger vers moi pour me saluer. Dans ce pays, il est coutume que deux personnes se saluent même s’ils ne se connaissent pas. Donc, je l’attendais. Mais rien ne s’est passé. Bien que j’aie un siège vide à côté de moi, il n’est pas venu. Déçu, je ne me souviens plus où il est descendu ce jour-là. A mon tour, je ne me souviens non plus mon arrêt.
Dix jours se sont écoulés. C’était un jour férié. J’étais au centre-ville. Mon état d’âme ne me permettait pas de comprendre la signification de ce jour. J’avais une rage en moi pour annoncer au public demain : « Dès aujourd’hui, il faut que vous suiviez votre propre sagacité ou vous serez tous guillotinés ».
Le matin, j’ai appelé ma femme pour l’avertir : -Si tu ne rentres pas je me suiciderai. N’écoute pas les autres, aie ta propre conviction !
Elle s’en moquait et répondit : -Voyons ! Pour qui tu me prends ? Je crois que tu es bourré dès le matin !
Avant de raccrocher elle rajouta : -D’abord, reprends ton bon sens !
Ne sachant quoi faire je me suis laissé errer dans les rues. J’entrais dans une brasserie. Installé dans une banquette près du guichet, j’ai commandé un Ricard. Le garçon m’a apporté la boisson avec des olives salées. J’ai fini le verre. Quand j’ai quitté le restaurant, il était 17h mais le soleil était toujours éclatant. Au centre-ville, quatre ruelles partent d’un endroit pareil à une Place. On y trouvait les boutiques de grandes marques. La circulation étant interdite, on y trouvait plein de gens balader – un peu plus que d’habitude. Les gens se sont habillés légèrement à cause de la chaleur. J’étais le seul à marcher sans compagnie. Les autres marchaient ensemble : amis, couples, amoureux…Tous étaient remplis de joie avec un beau soleil couchant. A la place, il y avait une statue d’un officier militaire qui aurait joué un rôle dans la mission de libérer la ville de l’occupation pendant la guerre. Devant la statue, un grand bassin avec les fontaines. Autour des fontaines il y a des banquettes. Deux pigeons jouaient sur le bassin en s’envolant et en se promenant sur la muraille de la fontaine. Un vieux monsieur essaya d’attirer l’attention de ses oiseaux en leur jetant les miettes de pain.
Il était là, assis sur une des banquettes près de la fontaine. Je me suis rapproché de lui et je l’ai salué :
-Bonjour !
Il était en train de fumer.
-Bonjour !
Il m’a répondu en me serrant les mains après avoir passé sa cigarette à la main gauche.
Tout d’un coup d’un geste féminin, il m’a invité de m’asseoir auprès de lui.
– Il parait que vous avez trop bu ?
– Oui, mais vous en êtes partiellement responsable.
– Moi ?
Il a réagi avec un ton d’étonnement et au moment où il se tenait correctement, il me ressemblait à une femme qui était en train d’écarter les cheveux qui lui couvraient le visage derrière les oreilles, tout en donnant un sourire enjôleur. J’étais immobile de stupéfaction pendant quelques instants. Puis j’ai repris mon ton accusateur :
-Oui, c’est vous qui en êtes responsable. Chaque fois que je m’approche de vous, vous m’ignorez. Ce qui m’a trop humilié.
Mon ivresse me fait frotter les yeux larmoyants.
-Séchez vos larmes. On nous regarde. Est-ce que vous avez une famille, des enfants ?
-Oui, j’en ai. Mais, ma femme m’a quitté pour vivre toute seule avec notre enfant. Elle se plaint de mon comportement.
-Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Elle n’aime pas que je me réveille pour arpenter toute la nuit. Cela l’ennuie. Fâchée, elle m’a quitté pour s’installer chez sa sœur ainée. Et vous ?
-Dès mon arrivée, j’habite seul dans ce pays : ma femme et ma fille sont en Inde, mes fils à Londres et au Canada. Mais il faut accepter la vie telle quelle.

Quand il a terminé la phrase, j’ai lu entre les lignes les brins de ma vie.
Prétendant de m’avoir tout lâché, il alluma une Marlboro. Ça fait longtemps que je n’ai pas fumée une cigarette de telle marque. J’ai osé lui demander :
-Une cigarette, s’il vous plait !
Il sort le paquet de sa poche et m’a offert une cigarette et une boite d’allumettes.
En allumant la cigarette, je lui ai rendu son briquet. Je me sentais que l’image de son visage se dégringolait. Les cheveux descendaient sur les épaules. L’obscurité du visage a disparu. Le visage attirant d’une femme blonde apparut. La moustache épaisse a cédé la place au duvet d’une femme. Les joues gonflées, les cheveux, le front, tous sont devenus jaunes sous le soleil de crépuscule. Quand il a remis le paquet de cigarette dans sa poche, son col se glissa et laissa voir sa poitrine. Cela m’a fait frémir. Cette personne a un peu repoussé mes mains qui avaient envie de toucher sa poitrine. J’ai attrapé ses mains et je l’ai invité :
-Venez avec moi.
-Où ?
-A mon appartement.
-On verra ! Donnez-moi votre adresse !
-Non, immédiatement. J’ai une bouteille de whisky. Discutons pourquoi il faut préférer les émotions à l’intelligence. Il parait que ce sont les émotions qui contrôlent le bon sens.
-Mon œil ! Une histoire à dormir debout.
-Non. Vous êtes comme moi, un homme hors du commun. Je suis sûr que je pourrai vous convaincre. Discutons-en longuement jusqu’à l’aube.
-Mais, laissez-moi partir. Je n’ai plus de temps.
Mais je n’ai voulu le laisser partir. Les badauds se sont arrêtés pour assister au drame. Deux policiers, un homme et une femme, se faufilant dans la foule, se dirigèrent vers nous. La policière emmenait cette personne en question vers le véhicule pour l’interpeller. L’interrogation terminée, elle est revenue vers son collègue. Elle dit quelque chose dans le creux de son oreille. Ensuite, les deux policiers m’ont conduit vers leur véhicule.
Ils m’ont demandé la carte d’identité. Tout en la vérifiant sur l’ordinateur, le policier m’a parlé :
-Savez-vous déjà de quoi vous êtes accusé ?
-(….)
-Vous vous êtes mal comporté avec une jeune fille. Vous avez tenté de toucher sa poitrine. Heureusement elle n’a pas voulu porter plainte.
-Quelle fille ?
Mes yeux se sont tournés vers la direction qu’ils m’ont signalée. Mais, c’était toujours « lui » qui était assis sur une banquette. Je me suis embrouillé.
Ce soir, j’ai regagné mon appartement. Les portes n’étaient pas ouvertes. Les fenêtres non plus. J’attendais en vain devant les portes fermées. Mon voisin venait d’arriver. Je lui ai demandé :
-N’y a-t-il personne ?
-Un couple habitait cet appartement. Tout allait bien dans le foyer. C’était un couple heureux. Il se serait passé quelque chose entre eux. Je n’en sais rien. Un beau jour elle l’a quitté. Ma femme l’a vue partir avec son bébé en taxi. Je n’ai pas de nouvelles de ce Monsieur.
-Vous ne me reconnaissez plus ?
Il a hoché la tête pour dire non.
-Bien !
Je suis descendu dans la rue et j’ai commencé à marcher.
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Présentée par la société américaine Apple, SIRI est une application informatique compatible à partir de l’i-Phone4. C’est un assistant personnel intelligent qui répond aux requêtes de leurs utilisateurs. Dans le quotidien du septembre 2012 a paru le fait divers : Un Américain est accusé d’avoir tué son colocataire à Gainesville (Nord de la Floride) : le motif du meurtre était d’ordre amoureux. Les policiers ont étudié les données du téléphone du suspect. Ne sachant pas comment se débarrasser du corps, le meurtre avait demandé de l’aide à… son iPhone : Où cacher le corps de mon colocataire ? Et Siri, toujours prête à rendre service, elle lui a proposé les solutions : marais, réservoirs, fonderie de métaux, décharge…
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