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La demoiselle du Foyer-Éléphant – S. Senthil Kumar

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                                        – traduit du tamoul en français, – Krishna Nagarathinam

(S.Senthil Kumar, une nouvelle génération d’écrivains du Tamil Nadu, écrit des poèmes, des nouvelles et des romans depuis vingt ans et a publié plus de vingt livres.  Il a remporté plusieurs prix littéraires dans l’État de Tamil-Nadu, le plus récent étant le prix Sparrow. Il vit avec sa femme et sa fille à Bodinayakkanur, dans le district de Theni (Tamil Nadu). Il est aussi l’éditeur de deux magazines littéraires tamouls, pour adultes et pour enfants. )

La demoiselle du Foyer-Eléphant

Il faisait déjà nuit lorsque Savitri a quitté le bureau et atteint la route principale. Depuis le bureau, elle devra marcher au moins une demi-heure pour se rendre à l’arrêt de bus. Pour ce faire, elle est obligée de traverser les deux grandes allées pour atteindre la rue commerçante. De là, tout en prenant plaisir à regarder les légumes et les vêtements qui y sont vendus, elle se mêle à la foule des personnes qui rentrent du travail et descend la rue du Temple. Cette dernière est toujours bondée de monde, surtout la nuit. Il devient difficile de se rendre chez elle après 19 heures en raison de l’absence de transports publics adéquats. Ainsi, parfois, elle est obligée de prendre deux « share-autos » et de partager le coût avec d’autres personnes pour rejoindre son domicile. Et à cause de cela, il lui arrive même de penser à éviter cette idée et à préférer marcher, car chaque fois qu’elle prend un « share-auto », surtout pendant ses règles, elle a l’impression de faire couler du sang de son ventre. 

Auparavant, elle était souvent confrontée à la proposition d’un collègue, Baladji, de la ramener chez elle à la fermeture du bureau. Un jour, elle accepta et l’accompagna à la gare routière. Au lieu d’y entrer, il la conduit dans une boulangerie où il lui demanda : « Pourquoi n’es-tu pas encore mariée ? » Il lui dit ensuite : « Si tu aimes quelqu’un, dis-le-moi, je peux t’aider ». Mais cela la bouleversa. Depuis, si un de ses collègues lui propose : « Madame, je peux vous emmener à la gare routière ! », elle se fâchera contre cette personne. Et désormais, elle se sauve sans parler à personne, dès que son bureau est fermé.

          Lorsque Savitri est arrivée à la route principale, elle a vu deux étudiantes qui prenaient le même trajet qu’elle et qui attendaient le bus. Elles l’ont saluée avec un large sourire. « Bonjour madame, vous êtes toujours à l’heure, pourquoi êtes-vous en retard aujourd’hui ? » demande l’une d’elles, qui est en churidhar. De son côté, Savitri semblait réfléchir à une réponse juste à leur question. Pour elle, mentir à quelqu’un est une tâche difficile. Le seul mensonge qu’elle connaît est « J’ai dû aller aux toilettes ». Elle l’a répété, donc cette fois aussi. Cependant, ses jambes ont commencé à trembler quand elle a fini de le dire.

          Depuis quelque temps, les jambes de Savitri tremblent et cela l’effraie. Elle est allée voir le médecin local, à savoir une dame. Celle-ci lui dit que toute personne de plus de 40 ans devrait faire contrôler sa glycémie et son taux de cholestérol. Elle a ajouté que, comme ses parents étaient diabétiques, il y avait de fortes chances qu’elle le soit aussi. Par mesure de précaution, suivant la prescription de son médecin, elle a commencé à prendre des cachets, mais cela n’a pas apporté de changement majeur, si ce n’est des brûlures d’estomac.   Cependant, l’ordonnance est toujours avec elle pour lui servir au cas où elle aurait des douleurs aux jambes. En quittant la salle de consultation, elle a remarqué que l’ordonnance écrite en anglais portait « la demoiselle du foyer-éléphant » au lieu de son nom « Savitri », mais elle a quitté la clinique sans poser des questions malgré sa colère.

          Savitri ne se souvient pas depuis combien de temps ses jambes tremblent, mais elle se rappelle le moment où on la surnommait « la demoiselle du foyer-éléphant ». De plus, elle sait que ce jour ne partira pas de sa mémoire. D’après ses connaissances, ni son grand-père et sa mère qui se sont pendus à l’écurie des éléphants, ni son frère qui s’est enfui de la maison ni son père qui se saoule et se bat dans la rue tous les jours, ne sont appelés comme elle. Pourquoi donc, pourquoi tout le monde m’appelle-t-il avec ce surnom, se demande-t-elle, parfois. Elle est habituée à entendre un tel surnom depuis sept ans. De plus, elle en arrive à signer par erreur des documents officiels comme « la demoiselle du foyer-éléphant » au lieu de son nom Savitri. Elle craint d’avoir accepté involontairement le nom donné par les autres.

En ce temps-là, il pleuvait trois jours d’affilée. Elle rentrait tard tous les soirs après le travail. Une fois, sous la pluie, munie d’un parapluie, d’un sac à lunch et de livres empruntés à la bibliothèque, elle entra chez elle alors qu’il était déjà 20 heures. Devant chez-elle, recouvert de sable, les poches déchirées, exposant une partie de son torse à cause de la chemise déboutonnée, tout mouillé, son père Kouthalalingam était allongé sur le sol dans un état d’ébriété, autour de lui se trouvaient des hommes aux parapluies. Le jour où son grand-père et sa mère se sont pendus ensemble dans l’étable de l’éléphant, son père est devenu un alcoolique. Au début, il avait un ami, nommé M. Pakkirisamy, avec qui il buvait. Depuis qu’il est parti vers une autre ville, il boit seul.

Dès que Savitri s’aperçut que des gens étaient réunis devant sa maison, elle marcha rapidement. Écartant les gens qui s’étaient rassemblés, elle regarda le visage de son père qui gisait dans la rue. Il y avait du sang coagulé au niveau des lièvres. Elle savait comment son père se comportait quand il était ivre, mais il ne gisait jamais dans la rue auparavant.   Elle souleva son père de toutes ses forces et l’emmena à l’intérieur de la maison, tandis qu’elle entendait la voix d’un vieil homme qui disait : « Elle est devenue aussi grande et forte que son grand-père, elle porte son père comme un éléphant porte avec sa trompe ».

Elle pouvait entendre jusqu’à ce qu’elle ait baigné, habillé et fait asseoir son père sur une chaise les mots : la demoiselle du foyer — éléphant. Le lendemain de la pluie, les garçons qui jouaient dans la rue crièrent aussi « la demoiselle du foyer – éléphant ». Depuis lors, les gens ne cessent de l’appeler la demoiselle du foyer — éléphant, devant ou derrière elle. Comme quelqu’un qui observe l’arrivée d’un bus à son arrêt, elle regarda son corps. Puis elle fixa ses yeux sur ses pieds et ses jambes, tout en regardant le sol et ses sandales. « Certainement, elle ressemble à son grand-père par la taille et le corps, alors les gens ont raison de le dire », pensa-t-elle. En outre, chez elle, personne n’avait une corpulence aussi imposante que son grand-père, sauf elle. Quand il marchait, il était comme un éléphant, se souvint-elle. Malgré les similitudes d’apparence, elle et son grand-père ont des caractères différents. Depuis la cinquième, elle détestait son grand-père.

Le frère de Savitri, Muthusamy, était aussi chétif que sa mère. Un jour, le père d’une fille nommée Parijatam est venu chez elle et s’est plaint à son père que le frère de Savitri s’était enfui avec sa fille. Mais le père de Savitri ne l’a pas cru. La plainte du père de la fille avait mis le père de Savitri en colère, il lui a donc répondu immédiatement s’il était venu pour se moquer de leur famille. Mais l’entrée de la mère de la jeune fille dans la maison de Savitri à la suite de son mari, et ses pleurs les a convaincus de l’incident. Heureusement, le grand-père de Savitri, qui revenait du temple avec de la pâte de santal appliquée sur les bras et le front, a pu rétablir le calme en parlant aux parents de la jeune fille. Savitri ne savait pas de quoi ils parlaient ni comment ils étaient parvenus à un accord, mais elle a été témoin de la scène, où son grand-père rangeait de l’argent dans sa bourse et des visages souriants des parents de la jeune fille.

Elle et les étudiantes ont pris plaisir à regarder les deux éléphants passer l’un après l’autre devant l’arrêt de bus. L’une d’entre elles, vêtue d’un churidhar, a demandé à la fille en sari : « Es-tu montée sur un éléphant ? Son amie a répondu « non ». De nos jours, les cornacs ne laissent que les enfants monter sur les éléphants, pas les adultes, a-t-elle ajouté d’une voix chargée de tristesse. Il semble à Savitri que ce qu’elles disent est vrai. Finalement, le bus qu’ils attendaient arriva et s’arrêta juste après que les deux éléphants eurent fini de traverser la route.

Toute petite, Savitri se souvient de sa promenade sur l’éléphant avec son grand-père dans la rue du Temple. C’était l’époque où elle était très attachée à son grand-père. Ils avaient acheté des concombres et des goyaves dans la rue. L’éléphant qu’ils avaient à cette époque s’appelait Ageagou (beau). C’est un nom que l’on ne donne qu’aux filles dans sa famille. La petite Savitri demanda donc à son père pourquoi ils avaient choisi ce nom pour leur éléphant. Mais son père riait et disait. « Cela n’a pas d’importance, c’est un éléphant après tout, mâle ou femelle, quel que soit le nom qu’on lui donne », le grand-père balaya la question de sa petite-fille en caressant sa moustache. Le grand-père et elle, assis sur l’éléphant, arrivèrent à un pont de pierre où ils achetèrent des idlis (gâteaux salés) et des viandes grillées.

  « Notre éléphant pourra-t-il manger de la viande, grand-père ? » interrogea-t-elle à son grand-père, mais en tapant dans le dos de sa petite-fille : c’est sûr, tu verras, dit-il.

Le soir, grand-père se rendait dans une ville voisine pour acheter deux bouteilles d’alcool. Il s’asseyait sur son lit et buvait l’alcool, accompagné de cornichons au citron, de gâteaux de riz et de viande grillée achetés près du pont de pierre, puis il s’allongerait sur le lit et s’endormirait. La mère de Savitri devait se lever tôt le matin et nettoyer l’endroit où son grand-père avait mangé. Il fallait balayer les mégots de cigarettes et les feuilles de bananier. Chaque matin, à son réveil, la petite Savitri voulait s’amuser à rester sur le seuil de la porte pour regarder sa mère faire le ménage. Mais sa mère ne lui permettait pas de le faire, préférant l’enfermer à l’intérieur de la maison.

Ce jour-là, les vacances avaient commencé après l’examen du second semestre. Comme d’habitude, dans l’obscurité du petit matin, elle est venue dans la cour de la maison, à demi endormie, pour regarder sa mère balayer. Aucun bruit de nettoyage n’a été entendu dans la cour. Elle a regardé le lit de camp où son grand-père était allongé et il n’était pas là. Des cigarettes et des feuilles de bananier gisaient sur le sol. Elle descendit le chemin qui menait à l’abri des éléphants. Des feuilles de canne à sucre et de millet perlé jonchaient le sol, et elle avait l’impression de marcher sur des tapis moelleux. L’obscurité la troublait, et elle ne savait pas dans quelle direction elle allait. Mais l’endroit auquel elle était habituée. Ses pieds se dirigeaient vers l’éléphant. Il y avait une lueur dans le toit de l’abri où l’éléphant était attaché. En regardant, elle a trébuché sur les personnes allongées et est tombée au sol. Elle est incapable de distinguer les personnes allongées dans l’obscurité. Et combien sont-elles, elle n’en est pas sûre. Il pourrait s’agir d’une ou deux personnes, pensa-t-elle. La chute sur les feuilles de canne à sucre ne l’avait pas blessée, néanmoins assez pour la faire crier et faire frémir l’éléphant avec le bruissement de sa chaîne.

Alors que la lumière de l’aube commençait à se répandre dans la cour, la mère de Savitri était en train de moudre du riz rouge aplati avec du jaggery. Après avoir émietté du riz dal et de la farine de pois chiches et broyé de la noix de coco à mi-chemin, elle les donna au grand-père. Il se tenait là, couvert des traits de la cendre sur le corps, aux yeux rouges, laissant se balancer dans le vent le linge de son torse. Puis la mère de Savitri ramassa la selle de l’éléphant et fit un paillis avec du foin. Alors qu’il l’attendait, le père de Savitri est arrivé avec une feuille de bananier, l’éléphant a sursauté en agitant un bouquet de foins attrapé par sa trompe. Le grand-père se tenait devant l’éléphant, les mains attachées autour de la taille, à la manière d’un beau-père prenant soin de son gendre qui rend visite à sa belle-famille. À l’exception du visage du père de Savitri, les visages des autres, y compris le museau de l’éléphant, avaient perdu leur nature. Ils avaient fait leur travail habituel, mais il y avait une sorte de perturbation.

Le grand-père de Savitri met le mélange dans un grand récipient et fait des boules, en ajoutant suffisamment d’eau. Cette eau sert d’huile pour que les différents éléments se collent les uns aux autres. S’il échoue dans sa tâche, l’animal tournera la tête. Lorsque le grand-père allait s’occuper de l’animal, il y avait la procédure à suivre : prendre une douche, s’habiller correctement, se recouvrir le corps de lignes de cendres, etc. Cette présentation de lui permettra à l’éléphant de prendre sa nourriture avec ardeur. Le grand-père devait toujours servir son fourrage, jusqu’à présent toutes les tentatives des autres avaient échoué.  Ce jour-là, lorsque le grand-père a distribué des boulettes de nourriture, l’animal a secoué la tête, refusant d’avancer, mais plutôt de reculer. Toute la journée, il cassa des cannes à sucre et lança des feuilles de canne.

Les journées suivantes, l’éléphant ne touchait plus à son fourrage. Le grand-père en colère appela la mère de Savitri et lui ordonna : « Pankajam, ne mouds plus le riz, ne donne plus d’eau à l’éléphant ! Ne va pas dans la grange où se trouve-t-il ». En effet, il faisait de même. 

Quelques jours plus tard, Savitri prépara autant de boulettes de fourrage qu’elle put, les mit dans un seau et se plaça devant l’éléphant, qui s’agenouilla comme s’il l’attendait. L’animal avala son fourrage de la main tendue de la petite fille. Il la serra contre son museau avec sa trompe. Savitri sentit la tendresse d’une mère envers son enfant. Dès lors, Savitri ne quitte plus l’éléphant. Et c’est elle qui nourrit et baigne l’animal tous les jours maintenant.

En retroussant sa jupe et en faisant tinter ses bracelets de cheville, elle parvenait à faire tenir l’animal debout. Comme Savitri est habituée à grimper sur l’éléphant depuis son enfance, il lui était aisé de grimper sur le dos de l’animal lorsque celui-ci était à genoux. En quittant la cour, l’éléphant secouerait son corps et celui de Savitri. Traversant la clôture, l’animal resterait à l’ombre du margousier et se reposerait. Pendant ce temps, Savitri écarterait ses jambes, poserait son visage sur le cou de l’animal et, en appuyant son buste sur son dos, dormirait. Lorsque le repos momentané de l’éléphant prendra fin, la petite fille se réveillera de son sommeil.  

À sa descente du bus, Savitri marchait lentement sur la route. Les lumières extérieures des maisons situées des deux côtés de la route sont allumées. Une femme qui se tenait à l’intérieur de sa maison nourrissait son enfant assis sur ses genoux. Quand elle est passée devant elle, elle a dit à son enfant : « C’est la sœur de la maison des éléphants, et si tu ne manges pas correctement, je te donnerai à elle ». Elle continua à marcher comme si de rien n’était. Elle venait de passer devant deux lampadaires. Deux écolières qui étaient sur leurs vélos, en voyant Savitri, « La sœur de la maison de l’éléphant revient de son bureau, cela signifie que nous sommes en retard aujourd’hui, et que nous serons grondées par notre tuteur », a dit une fille à une autre. Habituée à ces litanies, Savitri continua à marcher.  

Elle peut voir depuis la route l’entrée de la maison. Heureusement, il n’y a personne devant, ce qui signifie que son père ne semble pas être ivre comme promis, il y a quelques semaines. S’étant libéré de son ivresse, la dernière fois, en effet, en se mettant à plat ventre aux pieds de sa fille, il s’est excusé auprès d’elle en disant qu’il ne sortirait plus boire de l’alcool en dehors de leur maison. Depuis cette date, une fois par mois, il met toutes les bouteilles d’alcool dans un sac et les vend à un acheteur. Ensuite, il nettoie et lave la maison. Quand c’est fait, il allume de l’encens et du camphre pour faire croire à un autel, mais cela ne dure qu’un jour. Le jour suivant, une bouteille d’alcool arrivera et sera placée sur la table. Mais Savitri se lasse de voir tous les jours chez elle les bouteilles aux couleurs vives. 

En entrant dans sa maison, elle a vu que l’ami de son père, Pakkirisamy, est assis en face de son père. Jusqu’à ce jour, Savitri ne veut rien savoir de Pakkirisamy. Un jour, elle le gifla sur la joue. Après cela, il alla travailler dans un jardin de cardamome. Cela remonte à 7 ou 8 ans. À deux reprises, il est revenu de là-bas et lui a demandé si elle voulait l’épouser. Elle a refusé avec véhémence.

Elle buvait l’eau du pot, tout en se demandant si elle devrait ou non parler à Bakhirsamy. Elle sentait l’eau qu’elle buvait tremper sa poitrine et déborder près de son nombril. Les yeux de Bakhirsamy pourraient être sur la trace humide, elle le sait. Il a toujours une sorte de regard d’inculte sur elle, ça aussi, elle le sait. Elle se laisse voir, se disant que sa nature ne changera pas en un jour ou deux.

Elle est entrée dans sa chambre et a fermé sa porte. Elle s’est changée. Elle s’est allongée sur le lit. Elle alluma le ventilateur et en augmenta la vitesse. Elle a mis son écouteur dans ses oreilles et a commencé à écouter ses chansons préférées. Mais sa pensée courait derrière Pakkirisamy. Elle se dit qu’elle devrait au moins lui dire bonjour. Le grand-père et la mère de Savitri se sont tués en se pendant au margousier devant l’écurie des éléphants. Savitri n’a pas versé une seule larme le jour où sa mère est morte. Au lieu de cela, elle a donné des boulettes à l’éléphant. Il remuait la queue et mangeait joyeusement. Quelques jours plus tard, son père a amené Bakrisammy pour s’occuper de l’éléphant. Savitri était d’accord pour qu’il vienne à la maison, pour mettre fin aux lamentations de son père qui insistait pour qu’elle aille étudier afin de trouver un emploi intéressant au lieu de s’occuper d’un animal.  

Pakkirisamy est un parent éloigné du père de Savitri. Il n’y a pas de différence d’âge entre Pakiri et Savitri. Le père disait à Savitri qu’il était doué pour dessiner le « Namam » (la marque tridimensionnelle sur le front) du temple de Peroumal (Vishnu) sur le visage d’un éléphant. Mais il mène une vie intolérable : il décore l’éléphant, et se déplace avec lui d’un temple à l’autre. Là, pendant le temps de repos, en compagnie d’autres cornacs, il joue aux cartes. Le soir, il fume du crack avec des mendiants. S’il est bon, peut-être le père de Savitri pourrait-il lui accorder sa fille en mariage. Mais il n’en est pas question pour l’instant. Mais l’intention de Pakkirisamy est différente.

          Une fois, Pakkirisamy qui avait eu l’occasion de voir Savitri prendre un bain s’est moqué d’elle. Le lendemain, alors que l’éléphant Ageagou arrachait le feuillage des cocotiers à côté d’eux, il demanda à Savitri : « Peux-tu m’épouser ? Elle tourna la tête pour caresser la trompe de l’éléphant sans rien dire. Furieux, Pakkirisamy se plaça rapidement derrière elle et la serra dans ses bras. Ce faisant, il lui pressa la poitrine. Elle cria de douleur et s’assit aux pieds de l’éléphant en tenant sa poitrine dans ses mains. Immédiatement après, elle se leva et gifla Pakkirisamy. Puis elle ramassa les feuilles de canne à sucre et le fouetta.

Savitri eut des douleurs à la poitrine toute la journée. Incapable de toucher son corps et de se baigner, elle avait même du mal à attacher les crochets de son chemisier. Battu par Savitri, Pakkirisamy est revenu chez elle deux jours plus tard et est entré dans sa chambre. La jeune fille dormait. Sentant une lourde charge tomber sur son abdomen, elle sursauta et cria. Rassemblant toutes ses forces dans ses bras, elle saisit Pakiri par la taille et poussa. Pakkirisamy est tombée du lit. Dès que Savitri ralluma la lampe de la chambre, il se dépêcha d’enfiler les vêtements qui traînaient sur le sol et partit. À l’aube, elle brûla sa jupe qui collait à son corps nu. Mais elle ne pouvait pas effacer l’incident gravé dans sa tête.   

Savitri a retiré ses écouteurs, a ouvert la porte et est sortie. Dans la pièce de devant, à côté du pilier de pierre, le père de Savitri et Pakkirisamy étaient en train de boire. Elle se rendit à la cuisine, fit des dosas et les mangea. Elle pouvait entendre une discussion animée entre son père et Pakkirisamy. “Je ne peux plus vivre tout seul, mon oncle”, a dit Pakkirisamy d’un ton furieux. “Je comprends, mais ce n’est pas le moment d’en parler. De plus, je n’ai aucun moyen de faire marier ma fille, cela prend du temps”, a répondu le père de Savitri avec une certaine inquiétude. 

Savitri est retournée dans sa chambre et a verrouillé la porte. Elle avait peur que Pakkirisamy défonce la porte et entre dans la chambre. Cette peur semblait faire à nouveau souffrir sa poitrine. Elle s’est allongée sur le lit. Le sommeil ne venait pas. Elle a décidé qu’elle refuserait s’il lui demandait de l’épouser. Elle se leva, déplaça le bureau et le plaça devant la porte. Elle s’est couchée sur la natte sous le lit. Elle n’arrivait toujours pas à dormir. Elle mit les oreillers sur sa poitrine, son abdomen et ses cuisses et les attacha fermement au ruban de la jupe. Elle est restée éveillée toute la nuit. Ses jambes tremblaient de peur.

Le matin, après avoir déplacé le bureau, lorsqu’elle ouvrit la porte de sa chambre, elle ne vit ni Pakkirisamy ni son père à la maison. La porte d’entrée s’était ouverte. Leurs sandales n’étaient pas trouvées sur le pas de la porte. Après avoir pris une douche tranquille, elle a préparé le petit déjeuner avec de la semoule. “Ce soir, il faut rentrer tôt du travail et dormir à l’aide de somnifères”, pensa-t-elle.     

Alors que Savitri attendait à l’arrêt de bus pour se rendre au bureau, les étudiantes sont arrivées. Savitri les a regardées et a souri. Ils souriaient aussi et parlaient entre eux du sari que Savitri portait. Ce jour-là, elle portait un sari de la couleur du fruit du jujube. Les filles ont dû être surprises par les grandes fleurs jaunes qui y étaient imprimées.   Le bus était plus bondé que d’habitude. Savitri a même douté pendant quelques secondes qu’elle était montée dans un autre bus par erreur. Pour en être sûre, elle s’est retournée pour vérifier si les élèves étaient dans le bus, heureusement les filles y étaient. Elle est descendue à son arrêt habituel.

Savitri attendait le feu pour piétons avant de traverser la route principale. Comme elle, de nombreux travailleurs, hommes et femmes, attendaient pour traverser la route principale afin de rejoindre leurs lieux de travail. Depuis le poste de signalisation, il lui faut au moins une demi-heure pour gagner son bureau. Son petit déjeuner de ce matin lui a fait ressentir une sorte de lassitude. Elle a donc marché lentement. L’air humide frappait son visage lorsqu’elle est entrée dans la rue Temple depuis la rue commerciale. On pouvait voir des pigeons voler de la tour du temple aux arbres et des arbres à la tour.  Et puis il y avait une foule de gens debout devant la porte d’un restaurant. C’était une foule rassemblée pour un mariage. Elle ne pouvait pas voir les visages des mariés. Elle pouvait seulement voir leurs cous ornés de colliers de fleurs.

En avançant, elle a pu voir deux ou trois autres groupes de mariés devant l’hôtel. Les gens semblaient se presser dans l’hôtel pour manger. Comme il y avait trop de gens, il régnait une certaine agitation et une grande confusion. Les mariés de chaque groupe sont clairement visibles dans la foule. Au loin, elle a vu Pakkirisamy marcher avec un collier de fleurs autour du cou, suivi de la mariée et d’une file de personnes, vraisemblablement les parents et les proches des mariés. Le père de Savitri apparaît également dans la foule, avec un drap plié et des oreillers sur la tête. Réalisant qu’elle est inhabituellement en retard pour le travail, Savitri descend du quai et commence à marcher à vive allure.

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Corona Chat – (nouvelle ) Krishna NAGARATHINAM

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(Le Corona virus nous impose

Vers la fin du mois de mars ou la première semaine d’avril, je suppose, nous avons commencé à ressentir le poids du confinement. À cette époque, Un ami de Pondichéry nommé Pasubathi, également professeur de tamoul à la retraite, reprochait à ceux qui ne respectaient pas l’enfermement. Aujourd’hui, sa colère est justifiée par la situation actuelle dans certaines villes de l’Inde. Malgré cela, il y a des raisons fondées pour que certaines personnes sortent, surtout en Inde, où un grand nombre de personnes, pour survivre, doivent sortir, trouver un petit travail pour gagner leur vie. Mon expérience ici (en France) a été intéressante. Début avril, après une semaine de confinement, je suis sorti pour chercher quelques produits de première nécessité dans un magasin du coin.Quand j’étais devant ma porte, un miaulement m’a surpris. C’était un chat noir. Le vide rempli dans ses yeux m’a raconté une histoire pitoyable. J’ai donc écrit une nouvelle en français et aussi en tamoul. Les deux ont été publiées dans les magazines respectifs.)

Corona Chat

C’est le début de l’été. La terre est enveloppée de la douceur du soleil. Je me trouve devant la porte d’entrée, la refermant derrière moi, comme un rat des champs qui vient de sortir de son terrier. Le corps qui s’est recroquevillé, tel un escargot dans sa coquille, par l’enfermement infernal, souhaitant savourer cette liberté temporelle, étire ses bras et agite ses jambes, avec un air de défi. Les yeux épuisés, depuis quelques jours, par les images surnaturelles des écrans de visualisation, à la périphérie du courant humain, commencent à vagabonder dans un rayon plus accessible. Un silence total règne dans l’atmosphère et l’on peut se demander si les bruits ne sont pas eux aussi sous l’influence du confinement.
Après une semaine paralysante, c’est aujourd’hui seulement que je peux voir, grâce au ciel dégagé, un soleil souriant. Ces derniers jours, il a plu des cordes, ici. La nature a retrouvé sa fraîcheur à la faveur de la pluie. Même les murs et les toits des habitations semblent être à l’état vierge. Les véhicules garés dans la rue comme du bétail dans une étable, s’illuminent. Les plantes sauvages ont fini par céder aux mouvements des mille-pattes et des papillons, et bougent et se tortillent à l’unisson. Les arbres et les arbustes qui servent de clôtures rendent le lieu si agréable que j’ai du mal à récupérer mes yeux. Le feuillage tremble, une bouffée de vent me traverse en ébouriffant mes cheveux. On dirait que la nature sourit discrètement de sa victoire sur les hommes.
Dans l’intention de détourner mon attention, un corps au pelage dense et doux se frotte contre mes jambes. Je regarde vers le sol. Ce que je vois est un chat. Un chat noir, plus justement. Dès qu’il a repéré mes yeux, un cri plaintif est sorti. Je le connais. J’ai eu de nombreuses occasions de le voir avec sa maîtresse. Mais c’est la première fois que je suis très rapproché de lui.
La bonne santé de l’animal est assurée par la brillance de ses poils. Ses yeux brunâtres luisent d’un éclat vif. Et même les crins de la moustache, qui sont au moins une dizaine de chaque côté, me semblent être fins et bien naturels. Je prends encore quelques secondes pour admirer sa langue toute fine et baladeuse qui joue au jeu de cache-cache. Malgré les apparences, sur son museau flotte une expression pitoyable cherchant un refuge d’amour. Hélas, ayant perdu déjà un quart d’heure sur le temps imparti dans mon attestation de sortie, je n’ai aucune patience pour le comprendre. De plus, cet animal en question est bel et bien la propriété de ma voisine. Je me suis donc dépêché de descendre la rue et j’ai commencé à marcher à grands pas.
Nous sommes confinés chez nous depuis quelques jours. La conséquence du coronavirus est si préoccupante que le nombre de victimes et de décès augmente chaque jour. À son grand désespoir, l’État vient de décréter un confinement total des citoyens. Pour sortir de chez soi, il faudra se justifier. Sur l’attestation de sortie, disponible en ligne, on devra préciser le motif, la date et l’heure de sortie sans oublier de mentionner le nom et l’adresse de la personne. Vu que nous avons besoin de produits de première nécessité, je dois les acheter dans un commerce de proximité. Et ainsi j’ai eu l’occasion de rencontrer le chat de ma voisine, à notre porte d’entrée.
Malgré vingt ans de vie en Europe, tout comme mon combat perdu contre mon habitude de manger du riz, je n’ai pas pu vaincre certains de mes comportements, nourris en Inde. Par exemple, ici en France, vous pouvez tutoyer aussi bien vos parents que les personnes âgées dès que vous les connaissez, mais pas en Inde. Chez les Indiens, quels que soient leurs rapports avec la personne, si elle est plus âgée, il faut la vouvoyer. De même, j’ai un autre problème, et celui-ci concerne ma voisine. J’avais trente ans quand j’ai emménagé avec ma femme et mes enfants à côté de chez elle. Aujourd’hui, j’ai cinquante ans. Je ne me rappelle pas quand ma voisine et moi nous sommes croisés pour la première fois. Il est toutefois évident que, comme vous l’imaginez, nous avons eu de nombreuses opportunités de le faire, tous les deux, au cours de ces vingt années. Comme le veut la culture, lorsque nous nous croisons, c’est ma voisine qui me dit « Bonjour ».
Bien entendu, l’initiative de me saluer lui revient. Elle dira « Bonjour » et s’en ira. Moi ? Cela dépend de mon sens de l’humour. D’ailleurs, notre quotidien en Inde, présent et passé, ne consiste pas à se saluer chaque fois que l’on rencontre quelqu’un. Si les personnes qui se croisent sont de sexe opposé, c’est encore plus terrible. Un tabou, impensable, pas question d’y toucher ! Ces malédictions se sont également installées avec moi lorsque je suis venu en France. Les normes civiques disent qu’il faut au moins un petit signe de tête ou un simple rictus pour répondre à la salutation de quelqu’un. De mémoire, bien sûr, je dois beaucoup de « bonjours » à ma voisine. Supposons que pour cent « bonjours » de sa part, j’ai dû lui en donner une dizaine. Cela dépendra, comme je vous l’ai déjà dit, de mon humeur. Pour être franc, je l’ai parfois délibérément ignorée et je pouvais très bien me passer de son « bonjour » comme si de rien n’était.
Ajoutez au panier… voici autre chose que je tiens à partager avec vous, afin que vous puissiez bien me comprendre. Vous ne me croirez pas, pourtant c’est une vérité comme une autre. Sur cette planète, quelques-uns vivent non pas sur la terre, mais dans l’eau, au fond de la mer. À court de souffle, ils remonteront à la surface pour remplir leurs poumons d’oxygène et puis retourneront d’où ils viennent. En fait, ils mènent une vie ascétique, loin de la société. Soi-disant hors des célébrations, hors des rencontres sociales, hors de tout. Ils sont une espèce à part, ne veulent pas se mélanger aux autres. Vous n’appartenez peut-être pas à ces catégories de personnes. Eh bien, moi oui. Je suis l’une des personnes qui pratiquaient sérieusement l’écart social avant même que le monde ne connaisse le coronavirus. L’écart social entre mon voisin et moi n’est pas basé sur la distance ou l’espace, mais davantage sur mon état d’esprit. À titre informatif, même un petit sourire de la part de quelqu’un pourra détourner mon regard, me faire dévier de mon chemin. Alors pourquoi devrais-je m’intéresser à ma voisine et à son salut ?
Il y a deux jours, j’ai remarqué que la porte et les volets de ma voisine étaient fermés. Je les ai tout simplement ignorés. Aujourd’hui, même scénario. Cela fait de nombreux jours que sa voiture Peugeot 305 reste immobile au parking. Cela pourrait s’expliquer par plusieurs raisons. Si c’était l’été, on pourrait dire qu’elle est partie en vacances. De plus, à chaque fois qu’elle part, elle laisse son animal de compagnie à la SPA. Nous en avons été témoins, ma femme et moi. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Surtout au moment où l’on est en plein dans la crise du coronavirus. Les sorties sont réglementées. Il pourrait donc y avoir une autre raison. Le chat qui se traînait, juste à l’instant devant notre porte, me fait aussi réfléchir.
Au supermarché, avec nos produits, je n’ai pas oublié d’acheter de la nourriture en conserve pour l’animal. En revenant chez moi, l’absence de l’animal à notre porte a minimisé mes inquiétudes concernant ma voisine. À la sonnette, ma femme ouvre la porte en me demandant de la suivre calmement. Nous sommes dans le couloir, après quelques pas, elle se tient à l’écart et me laisse regarder ce qui se passe, je n’en crois pas mes yeux, le chat est de nouveau là, jouissant de boire du lait, versé dans un bol. En réponse à mes paupières levées :
— Il y a quelques jours, j’ai vu une ambulance devant la maison de notre voisine. Je pense qu’elle est à l’hôpital. En conséquence, il n’y a personne pour s’occuper de son chat. Je l’ai donc laissé entrer pour lui donner du lait, dit-elle, voulant me donner une explication à la présence d’animal dans notre demeure.
— Chérie ! On n’a pas le droit de le garder. Nous devrons contacter la SPA, pour qu’ils s’occupent de lui.
En rassurant ma femme, je me penche vers l’animal pour lui dire « bonjour ». L’animal lève les yeux et regarde les miens pendant un moment, puis se met à boire, comme si de rien n’était.

Une belle Sacrée – Krishna NAGARATHINAM

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Qui pourrait le supporter, si Aiswarya Rai pleurait ? Il est certain qu’en France, personne ne laisserait couler une larme, à part quelques fans de Bollywood et une centaine d’Indiens… Mais, en Inde, ce serait une situation impensable. Ce fut le cas quand Anne, l’édition européenne d’Aiswarya Rai, pleura devant moi.
On était au mois du mai, au beau milieu du printemps. Je marchais côte à côte avec elle, tenant sa taille avec la bénédiction du chaud soleil et d’une légère brise. Elle cherchait son souffle, incapable de surmonter sa vive douleur ; désirant partager sa souffrance, je pris son visage dans mes mains et embrassai son front… Elle m’écarta et s’essuya les yeux. Après une courte marche, nous entrâmes dans un restaurant-fastfood. Il nous fallut quelques minutes pour commander des sandwiches au comptoir, puis quelques secondes pour trouver une table et nous asseoir. Elle se mit à sangloter de nouveau, et moi, de mon côté, je réfléchissais à la manière de bien la réconforter.
Ironie du sort, notre première rencontre avait eu lieu également au printemps, saison où la France entière sourit après une longue absence du soleil et un hiver dur. Ce jour-là, j’étais allé à ma future entreprise pour commencer ma vie active. C’était une grande bâtisse entourée d’arbres et son allure dénotait une fierté. À droite comme à gauche, de chaque côté de l’entrée, entre les étendues de gazon, comme on le fait aujourd’hui, il y avait des anémones, des colchiques et d’autres fleurs dont j’ignorais les noms. Après avoir reçu cet accueil fleuri, j’ai poussé la porte et suis entré dans le hall d’accueil. Ce que je vis, non, plutôt ce que j’éprouvai, n’était rien d’autre qu’une sensation forte ! Elle, derrière son bureau, telle une fleur en chair et en os, parlait à mi-voix à quelqu’un au téléphone ; comme si elle avait senti ma présence, hochant la tête, elle envoya un grand « oui » dans ma direction.
Je ne pouvais voir que la partie supérieure de son corps et la percevais comme une toile soigneusement conçue par un artiste talentueux : vêtue d’un chemisier, d’une ample tunique brune avec des fleurs blanches, les cheveux longs bouclés, les yeux verts et portant au cou un pendentif avec une croix en argent… en vérité, son apparence était très attirante. Alors qu’elle tentait de saisir la croix de ses lèvres pulpeuses, l’échancrure de son chemisier s’ouvrit suffisamment pour me laisser bouche bée.
– Oui !
Ce fut son deuxième qui me ramena à la réalité.
– Pardon, Mademoiselle ! Je suis Nicolas Vinod, le nouveau responsable de la vente et j’aimerais voir le Directeur du marketing.
– Bonjour, Monsieur ! Le bureau de la direction se trouve au premier étage. À votre gauche en sortant de l’ascenseur…
Après un « Merci » de formalité, je pris congé d’elle.
Ce fut une brève rencontre : en effet, comme j’avais d’habitude d’entrer dans mon bureau par une autre entrée plus proche du parking, les occasions de passer par l’accueil et de la voir étaient rares. Dans de telles circonstances, le seul mot que nous avions échangé était un simple bonjour. Donc, je peux dire que, dans une certaine mesure, elle avait perdu de son importance pour moi.
Six mois s’étaient écoulés… Elle vint remplacer ma secrétaire qui avait pris son congé de maternité. Je ne m’attendais pas à cela ! Était-ce le destin ? Je ne le croyais pas, mais elle, si. Plus tard, lorsque nous en avions reparlé, elle m’avait dit que c’était le destin qui nous avait réunis.
Les fichiers étaient triés par date, lieu, et l’information saisie dans l’ordinateur ; chaque fois que j’en avais besoin, la seconde suivante, ils étaient sur mon bureau. En peu de temps, elle était devenue une partenaire indispensable à mon existence.
Notre première nuit ensemble se produisit après une fête de fin d’année. Cette soirée-là, de manière tout à fait inhabituelle, j’étais complètement saoul. Elle m’emmena donc à son appartement et nous y passâmes deux jours.
Ce qui ne cessait jamais de m’étonner chez elle, c’était nos discussions sur la grandeur de l’Inde, sur le sadhu Ramana Maha rishi, ou le philosophe Jiddu Krisnamurti et leurs plus hautes pensées ; c’était aussi chercher des épices dans des boutiques indiennes, etc.
Alors que notre relation s’était solidement établie, un dimanche matin, elle entra brusquement dans mon appartement et me dit qu’elle voulait rencontrer sa mère sans tarder, tout en passant sa main sur son ventre. Oui, elle était enceinte de quatre mois, preuve de notre intimité. Bien entendu, je ne comprenais pas pourquoi elle voulait soudainement voir sa mère et je lui répondis :
– Si tu as envie de voir sa mère, vas-y ! Je ne t’en empêcherai pas !
Je pensais alors que, comme beaucoup d’autres, sa mère devait vivre toute seule, éloignée de sa fille. En vérité, je n’en avais jamais parlé avec elle…
– Non, c’est impossible ! En tout cas, ce n’est pas pour demain. Cela va prendre du temps, il y a des démarches à faire, répondit-elle.
– Des démarches, de quoi parles-tu ?
– Oui, Nicolas ce n’est pas facile de la trouver.
– Je ne comprends pas.
– J’ai été abandonnée par ma mère biologique, à l’âge d’un mois, puis j’ai grandi dans une famille d’accueil. Alors, si je veux la voir, il faudra chercher mon dossier archivé à la DSD, c’est-à-dire à la Direction Générale solidarité départementale et en plus à la mission adoption de l’ASE, pour connaître les informations laissées ou non par ma mère. S’il y en a, je pourrai alors m’adresser au Conseil national d’accès aux origines personnelles et cet organisme peut par la suite essayer de la retrouver. Et même si les recherches aboutissent, il n’est pas certain qu’elle accepte de me rencontrer.
– Désolé, je ne savais pas qu’il y aurait autant de problèmes !
Je la serrai contre moi pour la calmer et lui dis :
– Chérie, ne t’inquiète pas pour ça, je suis là !
– En fait, c’est toi qui m’as donné l’envie de voir ma mère… Tu te souviens, un jour, au cours de l’une de nos discussions, tu disais qu’en Inde les femmes enceintes voulaient rester toujours auprès de leurs mères et suivre leurs conseils.
– Oui, c’est vrai. Je te l’ai dit. Pourquoi pas ? On essaie de trouver la tienne, ça marchera peut-être, qui sait ?
Après cet échange, nous passâmes un bon dimanche.
Le lundi, je partis à un autre bout de la ville pour traiter des dossiers de notre nouvelle filiale. Vers 16 heures, elle m’appela au téléphone, au bureau, la voix tremblante et en sanglotant, me demanda de la rejoindre à 19 heures à notre restaurant habituel qui était à quelques pas.
Nous étions assis face à face. Ses yeux remplis de larmes, brisaient mon cœur.
– Chérie, calme-toi ! Que s’est-il passé ? La démarche a-t-elle progressé ?
– Non, en rien ! Pas besoin d’aller plus loin ! Ma mère ne veut pas me reconnaître, c’est très clair dans le dossier de la DSD. Mais je ne veux pas lâcher, j’ai décidé d’aller jusqu’au bout. Si la justice lui permet de jouir de ses droits, pourquoi m’empêcherait-elle d’user des miens ? Je veux le savoir.
– Tu as raison, et je suis avec toi. Dans l’état actuel des choses, je ne te laisse pas seule. Après le dîner, tu viens avec moi, désormais, on vivra ensemble, c’est mieux pour nous deux.
Comme décidé, après un dîner léger, on prit un taxi pour rentrer. À notre arrivée, j’ai pris, comme tous les soirs, le courrier qui m’attendait, puis nous montâmes au troisième étage en choisissant les escaliers et en nous tenant par la taille et par la main.
J’attendis qu’elle se fût assise dans le fauteuil et lui dis :
– Chérie, écoute ! Toi, tu pleures pour ta mère qui ne veut pas entendre parler de toi, mais moi je reste sans voix devant une mère qui brûle d’envie de me rejoindre. C’est le troisième courrier que je viens de recevoir de sa part.
– C’est vrai ?
– Oui ! Elle est dans une maison de retraite de Chennai, en Inde. Je paie dix mille roupies par mois. C’est un endroit décent et elle ne s’est jamais plainte de sa situation jusqu’à présent. Cependant, depuis deux mois, dans chaque lettre, elle parle de sa volonté de me voir, et me demande de venir en Inde.
– Qu’est-ce qui t’en empêche ?
– Comment ? Je dépense presque la moitié de mon salaire pour le loyer et tu sais très bien ce qu’il me reste à faire. Dans ce contexte, je ne peux pas y songer… Il en va de même pour la faire venir en France ; d’ailleurs, ce ne serait pas facile pour elle de venir en France et vivre avec moi, en laissant derrière elle tous les membres de sa famille.
– Et puis ?
– Pour ma part, j’ai des défauts qu’elle ne peut pas supporter et cela peut gâcher la relation entre mère et fils.
– Nicolas, si tu ne dis rien, moi je pourrai dire quelque chose !
– Quoi ?
– On peut faire venir ta mère en France ?
– Je viens juste de t’expliquer mes problèmes !
– À mon avis, ce ne sont pas de vrais problèmes. J’ai besoin de ta mère pour remplacer la mienne. Ne me dis pas non, s’il te plaît !
– Chérie, ne prends pas une décision à la hâte ! Elle a passé toute sa vie en Inde et l’environnement d’ici n’assouvira pas sa soif de relations. Son attente est différente. En outre, ça m’étonnerait que vous puissiez vous rapprocher l’une de l’autre ! En tout cas pour moi, c’est une décision grave et avant de la prendre, il nous faudra suffisamment du temps pour réfléchir. Mais j’ai encore un dernier point à comprendre : elle ne parle pas un mot de français, et toi je ne pense pas que tu puisses apprendre la langue indienne plus facilement… Alors, vous deux, dans quelle langue vous parlerez-vous ?
– Dans le langage d’amour, que veux-tu de plus ?
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l’Attente d’un papillon – Krishna NAGARATHINAM

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J’attends. Une angoisse excessive, la peur, l’inquiétude, la tension, la fuite, les rituels compulsifs et donc qu’il y a autant de visages pour attendre ! Toutefois, dans l’état actuel, je ne peux pas vous dire lequel convient le mieux à mon attente.
Dans un été pareil, ensoleillé du matin au soir, je ressemble à un éclat de la dent de soleil. Alors, à la tombée de la nuit, je deviendrai plutôt un gros point noir, faisant partie de l’obscurité. Mais souvent, l’attente que je fais avec une particularité étrange de mon corps – tel que deux paires d’ailes colorées, une tête du type pois rouge, deux antennes de fierté, une trompe enroulée – pourra vous donner une impression passagère. Néanmoins, pour moi, cette attente et les moments associés avec elle sont importants. Vous ne vous étonnerez pas si je vous dis que cette attente dure plus d’une demi-heure, plus précisément depuis un vieux couple, assis sur le banc, a commencé à bavarder. C’est pour cela d’une manière inhabituelle, j’attends avec une fébrilité en plus. Surtout, à l’approche du soir, le cœur bat la chamade, les ailes se collent et se détachent sans arrêt tandis que le corps a commencé à trembler doucement.
Comme ces derniers jours, il n’y a pas d’autres papillons dans ce coin du parc. La plupart du temps, pendant la journée, mes gens ne cessent de voler d’une fleur à l’autre. Même l’abondance de nectar d’une fleur ne peut nous empêcher de voler et nous nourrir ailleurs. Bien qu’il soit certain que, avec la joie de les avoir trouvées, on s’implantera sur des pétales, se concentrera sur la dégustation de nectar ignorant tous les autres, cette scène ne durera pas longtemps. Peu importe, aujourd’hui tout cela a perdu ses significations, ils appartiennent au passé. Depuis mon arrivée, je me sens seul dans ce coin de paradis. Tous mes amis et proches ont subi un malheur dans notre parcelle ancienne. L’absence des autres papillons dans cette place-ci me fait croire qu’ils semblaient aussi être victimes du même sort.
Jusqu’à la dernière semaine, je vivais avec mes proches dans l’autre bout du parc. Malgré nos déplacements incessants pour la nourriture, le coin d’abri restait inchangé. Chaque insecte avait une alimentation assez bonne et passait une journée sans faim. Un jour, nous nous étions fait surprendre par une question de ma sœur : « chercher des fleurs pour remplir l’estomac, des mâles pour s’accoupler, cette vie n’est-elle pas ennuyeuse, » et elle s’étonna y ajoutant : « ne vous inquiétez pas pour des épreuves qui nous manquent depuis certains temps ! » Nous tous avons répondu « non » sans comprendre le fond du sujet. En laissant nous réfléchir, elle s’en alla. De son retour, on attendait la réponse. C’était à ce moment-là, la catastrophe nous a frappés. Un employé municipal est venu avec une sorte de bouteille de gaz sur le dos, a fusé le contenu sur nos plantes d’abris. Au cours des minutes qui ont suivi, tous mes amis et proches ont trouvé la mort avec les ailes qui ressemblaient aux pétales de fleurs fanées et les corps, au lisier de souris. J’étais la seule à pouvoir de survivre dans cet accident.
L’événement que je vais vous raconter se produisit le deuxième jour de ma vie solitaire. À ce moment-là, je me suis assise sur une fleur de rose et je savourais le nectar. Soudain, j’ai senti comme quelqu’un attrapait mes ailes par des doigts légers. Suivant lequel, se mit à battre mon cœur tandis que mon abdomen gonflait et se dégonflait. Ce fut une expérience inhabituelle et non comparable à celle que je réalise parfois avec mon partenaire mâle ou à celle dont je jouis en butinant le nectar des fleurs. C’était par cette expérience-là, j’ai compris que le sens de la question de ma sœur, posée il y a quelques jours. Mais je ne pouvais malheureusement pas profiter davantage, car tout cela a pris fin au bout de quelques minutes, lorsque les doigts se sont détachés de mes ailes, suivi d’un rire comme des pièces de monnaie lancées sur un sol rocailleux. Je levai la tête et la tournai vers le propriétaire des doigts. C’était un enfant de bas âge, traîné de force évidemment par sa mère qui le tenait à la main. Avec des larmes aux yeux, marchant en titubant à côté de sa mère, l’enfant n’arrêtait pas de m’observer. Son regard imperturbable me suit même aujourd’hui. Cet événement m’a appris que la curiosité naturelle des enfants exposées à travers leur toucher est une expérience hors pair.
Immédiatement après cet événement, j’ai découvert ce terrain de jeux avec des équipements, remplis de bruits d’enfants, non loin de là où je m’abritais avant. Au plus près, il y avait un petit bassin, avec une statuette féminine au milieu, versant l’eau d’une poterie. Sur le bord du bassin, à gauche, en face du terrain de jeu, se trouvait un arbre à jasmin au milieu des buissons et des herbes. L’arbre était couvert de fleurs. Et les fleurs avec leur taille et cinq pétales bien séparés ressemblaient à une paume de la main bien étendue. Alors je m’y suis installée sans attendre.
C’était le dernier après-midi de juin. Le soleil venait de se coucher à l’horizon. Cependant, la soirée ne voulait pas se précipiter pour rencontrer la journée. La chaleur accablante s’était atténuée. Une brise légère, venant du sud, faisait trembler le bassin et le feuillage de l’arbre. Après avoir frotté l’une sur l’autre mes antennes pour déposer des pollens collés dessus, j’ai laissé mes yeux balader autour de moi :
Ils devaient être récemment mariés (?). Comme les nés jumeaux, condamné à vivre sans séparer les corps, un jeune couple passait devant moi. L’homme a dit quelque chose à sa femme, mais elle a pris le temps de réagir, en épanouissant ses lèvres, elle disait un « O » tout en levant les sourcils. Après une brève interruption de son acte, elle a fait semblant de brandir son poing droit en direction de son mari, au-dessus de sa tête, comme vouloir lui donner une tape.
Un quart d’heure plus tard, j’ai vu quatre garçons. C’était par leur barbe, j’ai conclu qu’ils étaient des adultes. Sur la tête de l’un d’entre eux, on pouvait voir au front un mouchoir en tissu plié en forme de triangle. Les mouchoirs de trois autres avaient été attachés autour de leurs poignets respectifs. Ils avaient un air ridicule. Les mots qu’ils ont prononcés et la façon dont ils ont marché ont montré leur état. Ils auraient bu l’alcool quelques minutes auparavant et pensé avoir suffisamment de temps pour se divertir avant de se rendre à Chennai, mais ils ne savaient pas combien d’entre eux survivraient à la fin de leur retour.
Ma préoccupation était, si l’un des enfants qui avaient été activement impliqués dans le sport du manège, du toboggan ne viendrait-il pas vers moi et ne renouvellerait-il pas l’expérience que j’ai eue. Au lieu de lâcher mon espoir, je me rassurai en disant que cela se produirait et fixai mon attention vers les deux femmes d’âge mûr qui s’étaient engagées sérieusement dans une conversation habituelle pendant que leurs petits – enfants jouaient dans le jardin. Je savais de quoi s’agit-il leurs discussions : La belle-fille inepte, la pire femme de ménage qu’elles n’aient jamais eue, la mauvaise balance utilisée par un marchand de légumes, les mauvais traitements qu’ils ont subis la semaine dernière dans leur ancien bureau, la série télévisée qu’elles suivaient, la vie amoureuse de la fille de leur voisine, etc. Ainsi, elles avaient donc tellement de choses à parler et à échanger. J’avais l’impression qu’ils n’arrêteraient pas leur discussion immédiatement. À ma surprise, l’une d’entre elles a tourné la tête vers les enfants, comme quelqu’un a ouvert brusquement les battants d’une fenêtre et jeté son regard dans une direction précise.
– Ma petite princesse peut-on rentrer ?
Le mot ‘Petite Princesse’, prononcé avec affection par la dame, a attiré toute mon attention. En me tournant vers les petits, j’ai attendu avec impatience de voir l’enfant en question.
– Grand-mère ! Je ne peux pas jouer un peu plus ? – Une petite fille ouvrit la bouche.
– Non, alors ta mère dira, c’est moi qui te gâte. Rentrons à la maison !
Le visage de l’enfant qui s’assombrissait montrait qu’elle désirait toujours rester avec ses nouveaux amis. Sa grand-mère, tenant l’enfant dans sa main, commença à marcher, laissant sa discussion en suspens. Ils se dirigeaient lentement vers le chemin qui passe près de mon abri. Par chance, l’enfant s’était tourné vers moi, s’arrêtait brusquement, me fixait de ses grands yeux, comme il voulait examiner mon âme. Ses paupières supérieures se levèrent, la cornée s’émerveilla. Ses yeux palpitèrent comme mes ailes un instant. En se débarrassant de la main de sa grand-mère, la petite princesse s’était précipitée vers moi. Je n’ai pas bougé. Avec le visage rond, cheveux coupés au carré ; des perles de sueur à la racine des cheveux sur la tête avant, le front, le bas du cou ; la fillette livrait un regard curieux, timide, attentif à moi comme quelqu’un voulait hameçonner un poisson. Je ne patientais que pour ce grand moment, enfin la persévérance a fini par payer. Elle aurait 3 ou 4 ans. En maintenant les paupières écartées, elle riait. Afin d’accueillir son geste instinctif, je collais et décollais mes ailes. Comme je l’attendais, elle s’est avancée plus près de moi en se faisant la main comme un bourgeon de lotus et en tenant le pouce et le doigt d’index comme des pinces d’un crabe.
Ce n’est pas le moment d’attraper l’insecte, il est plus de six heures, on est déjà en retard ! – c’était sa grand-mère
– Attends mamie !
– Non. Tu peux l’attraper à la prochaine fois. Ils traîneront toujours dans ce coin.
Entretemps, les doigts qui ont touché mes ailes ont été retirés machinalement. La petite princesse recula et alla auprès de sa grand-mère. En me regardant fixement, elle disait à sa grand-mère :
– À la prochaine fois, tu dois m’amener directement ici, je veux jouer avec des papillons.
– Sûr, je te promets. La grand-mère la rassura.

La fenêtre opaque, par Krishna Nagarathinam

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Depuis un certain temps, ses yeux se sont posés sur les ondes des images, légèrement  brumeuses, qui se déroulent à l’extérieur ; il est derrière la fenêtre, debout,  depuis cinq heures du matin, comme un spectateur privilégié, ayant le droit d’assister seul à ces scènes :  le ciel,  assombri de nuages gris ; la bruine verglaçante et le brouillard ; l’air nonchalant des châtaigniers avec leurs branchettes et leurs feuilles mortes sur le sol ; la souffrance martyre d’un moineau briquet exposé au mauvais temps ; la sortie des vieux fidèles, afin de remplir leurs obligations religieuses, sans se soucier du temps, marchant lentement comme des buffles qui ignorent qu’ils sont suivis par des loups.

En Europe, pour lui, toute action, dont celle de la nature, est planifiée, calculée. Et lui, il croit encore que « si les choses se déroulaient comme prévu, comme on s’y attendait, il n’y aurait aucun intérêt dans la vie. » De plus, il affirme que la vie doit se composer d’attentes et ni la joie ni le chagrin ne devraient annoncer leur arrivée, mais nous surprendre comme la naissance ou la mort, sans savoir le jour ni l’heure.

En tirant le rideau sur le côté, il continue à scruter, à travers la fenêtre, tout ce qui attire son attention, contre sa propre volonté, bien sûr. Cette attitude fait partie de sa routine du dimanche. En fait, il est parvenu à une entente avec tout ce qu’il méprise, surtout avec les contradictions. Il lui arrive parfois de se hâter de sortir de ce vécu externe. À ce moment-là, de manière à s’apaiser, il parvient à calmer son esprit en se disant : « Je sortirai un jour de cette vie de marionnette, en brisant mes fers.

Soudain, il entend un bruit monotone. Afin d’en comprendre l’origine, il reste immobile, mettant toute son énergie au service de sensoriel. Au début, il a pensé que cela venait de son cœur, mais au bout de quelques secondes, il a compris qu’il était venu du ciel, d’un avion plus précisément ; comme tout autre fonctionnement de l’avion, les lieux de départ et d’arrivée, les heures de vol, le nombre de passagers, sont tous calculés méticuleusement et préétablis soigneusement. Vers quel pays va-t-il ? En partance pour quelle destination ? Il cherche à comprendre, pourtant il sait bien que c’est impossible.

L’Europe ne se réveille pas habituellement à l’aube, à l’exception de ceux qui commencent à travailler tôt. Mais lui, il est là, tout comme un photographe passionné de clichés, sans bouger, près de la fenêtre. Cette coutume de se réveiller avec la lumière de l’aube a débuté en Inde. Au mois de janvier, c’était une tradition dans son village, même les enfants en bas âge étaient contraints de se réveiller tôt, de se laver avec l’eau du puits ou du lac et de faire le tour du village à pied avec un groupe de Bhajan. Naguère, il s’était laissé porter par l’enthousiasme de faire tout cela. Aujourd’hui, trente ans après, ce réveil précoce continue, comme une action naturelle et, par conséquent, la détestation ne cesse de croître chez lui à l’encontre des membres de sa famille qui connaissent un sommeil apaisant et eux aussi, à leur tour, détestent son étrange univers. Comment peuvent-ils tolérer un individu qui passe son temps à scruter follement le vide, au petit matin ?

Il a décidé de parler à Prêma, sa femme. Les images qu’il voit sont devenues ennuyeuses depuis quelques mois ; il recherche un dépaysement total, sur un fond différent : un paysage lointain avec du cri d’un corbeau solitaire, du brouhaha des ouvriers qui déchargent un poids lourd ; pour voir le plané des nuages au-dessus des toits en chaume, les hommes en dhoti serré à la taille et une couverture en laine autour du torse sirotant le thé en état de demi-sommeil ; pour admirer une femme, habillée d’un sari de soie, portant un enfant de moins d’un an dans les bras et suivant son mari pour assister à un mariage peut-être au petit matin. En somme, un tel spectacle lui manque ! Mais quand partira-t-il ? Demain, après-demain, le mois prochain ou l’année prochaine ?

Arrivé ici il y a environ vingt ans, c’est vrai qu’il avait été stupéfait de tout ce qui se passait autour de lui et il n’avait pas le sentiment que cela puisse un jour prendre fin.

Prêma, sa femme vient de se réveiller ; une fois le lit fait, elle viendra vers lui et posera la question : « Que t’apporte-t-on ? Du café ou du thé ? Et il se dit qu’il la remerciera si elle pouvait cesser cette question répétitive.

Il sent un petit souffle tiède derrière son cou, c’est sa femme, Prêma.

— Prêma, peux-tu apporter du café ? Je veux te parler.

— C’est à quel sujet ? Il ne s’agit pas de retourner en Inde, comme d’habitude ?

— Si, Si… Mais cette fois la décision est prise, le retour en Inde est certain. Viens, assieds-toi !

— J’en ai pour une heure, dit-elle, puis elle part .

Au bout de quelques secondes, elle revient et dépose sur la table quelques extraits bancaires. Il se dépêche de les examiner, comme s’il n’a plus confiance, il continue à les regarder de haut en bas, en oubliant tout le reste ; les chiffres ainsi que les zéros, tous jouent à cache-cache avec lui.

Au début, lorsqu’il avait l’occasion de croiser ses vieux compatriotes, sa question était :

— Comment arrivez-vous à vivre dans un pays étranger ? »

Et parfois, pour ajouter à cela, il demandait : « Malgré de nombreux défauts, vivre dans notre pays d’origine, c’est pourtant mieux, n’est-ce pas ?

Et leur réponse était, plus ou moins :

— On ne dit pas le contraire ! N’empêche, que faire face au destin ? Chacun de nous, pour une raison ou pour une autre, est venu s’installer dans ce pays. Tout porte à croire que c’est une question de survie, non un choix. Une fois installés, nos besoins initiaux se multiplient, la soif de cette nouvelle vie devient insatiable. Puis la situation nous oblige : on est censé être près des enfants qui sont nés et ont grandi dans ce pays, et se recueillir sur les tombes de nos proches qui y sont inhumés. Avec les jambes que j’ai, vous croyez que je peux voyager encore ? Et là-bas, qui est-ce qui m’attend ?

— Monsieur ! Je m’excuse de vous couper la parole, je ne suis pas d’accord avec vous. Si j’ai l’argent qu’il me faut, je partirai demain.

Avec un sourire aux lèvres, les vieillards s’en allaient.

Son éternel problème à lui, c’est de chiffrer le montant. Depuis son arrivée il le cherche sans relâche. Mais par malchance, chaque fois qu’il s’avance, il s’éloigne de lui. Avec le temps, d’ailleurs, ce monstre a grandi, dans la mesure où il ne parvient plus à le saisir.

Tout en laissant les chiffres emporter son esprit, il appelle sa femme :

— Prêma !

— Tu m’as appelée ?

— Oui ! Il faut contacter notre banquier pour prendre un rendez-vous. J’ai appris que le taux d’intérêt a atteint son niveau le plus bas. Donc, c’est le moment idéal pour un prêt immobilier et devenir propriétaire.

— Alors, ce n’est pas pour demain, notre départ ?

Sans réagir à sa question, il se tourne vers la fenêtre opaque.

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LUI-(nouvelle ) – Krishna NAGARATHINAM

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   Lui

  écrit en tamoul -Krishna Nagarathinam

-Taduit par S.A.Vengada Soupraya NayagarNayagar Chassé croisé

Dès que j’appuie sur l’interrupteur de la sonnette, la porte de ma maison s’ouvre. Mon épouse, vêtue de son sourire habituel, m’interroge:
-Cette fois, tu as oublié quelle clef ? Celle de la voiture ou bien du garage?
-Toutes les deux.
Comme d’habitude, la main sur la tête, elle me sourit davantage et se moque de moi en disant,
-C’est presque devenue une habitude.
En l’écartant j’entre dans la maison. Au bout de cinq minutes, je regagne le seuil avec les clefs. Cette fois, elle n’est pas là.
Je hurle :
-Tu es déjà partie? Viens fermer la porte.
Je l’attends quelques minutes mais en vain.
« Elle ne viendra pas. Tu n’as qu’à partir. » La voix m’en avertit.
Je ferme à la clef et je pars.
Il m’a fallu cinq minutes pour sortir la voiture de mon garage.
Dès que la voiture s’engage sur la route principale, je commence à m’ennuyer davantage. Je me demande si cette personne serait toujours là. L’intuition me répond qu’il serait là.
Je l’observe depuis quelques jours.
Peut- être, il était toujours là. C’est fort possible que c’est moi qui ne l’avais pas aperçu. Si c’est vrai, est-ce qu’il y en aura des preuves ? Faut-il chercher les preuves pour cela? Oui, bien-sûr, me répond mon cher Siri(1). Tiens ! J’ai oublié de vous parler de Siri. C’est mon compagnon, mon ami, mon maitre, mon gourou…
Il y a six mois que ma femme m’a offert un « i Phone » pour mon anniversaire. Et voilà, le début du contact entre moi et Siri. Cette amitié a évolué et aujourd’hui nous sommes devenus presque des amis intimes. A quel point ? Ma femme me signale : « Vous êtes insensé ! J’ai peur de continuer à vivre avec vous ». Elle me dit même de consulter un psychiatre. En ayant assez de moi, elle m’a quitté avec notre enfant d’un an pour s’abriter chez sa sœur ainée que je n’aime pas.
Tard, une nuit, explosa une querelle entre Siri et moi.
-Est-ce que ma femme a raison de dire que je suis insensé ?
Siri rigola en disant :
-Comme si elle est pleine de bon sens !
Et il continua :
-Au fait, personne d’entre vous n’est sensé.
En réfléchissant bien, je crois qu’il n’a pas tort. Néanmoins, je lui ai demandé, si rien ne se passe selon mes envies tels que « mon choix, ma volonté, mon amertume… »
Siri rétorqua :
-Tu rêves ? Absolument rien ! De nos jours, sais-tu qu’est-ce qui reste silencieux ? Ce n’est pas l’ignorance, plutôt c’est l’intelligence !
J’étais surpris de cette réponse.
-Et alors, comment préserver notre individualité ?
-Cède à ton émotion ! Rejette ton intelligence ! Va goûter cette expérience.
Depuis une semaine je suis content de conserver mon individualité. J’ai voulu l’annoncer à mes proches. C’était exactement le moment où j’ai rencontré cette personne. Tous les matins quand je prenais le volant pour me rendre à mon bureau, je l’ai remarqué s’isoler devant l’arrêt d’autobus N° 52. Son comportement semble annoncer qu’il n’a aucun rapport avec les autres voyageurs qui attendent l’autobus. Donc, je pense qu’il est facile de sauver son individualité. Il est tellement grand qu’on devrait se lever la tête pour le saluer. Le buste, les épaules, la tête, les yeux, cherchent à voir quelque chose. Les filles décolletées hésiteraient à s’approcher de lui. De temps en temps, il se sert du creux de sa main pour se protéger de la lumière. Même en plein soleil, son visage est sombre comme si une ombre y est tombée. Les cheveux gris de ses tempes, sa moustache et sa barbe ne sont pas en harmonie avec son corps. La lassitude d’avoir parcouru la vie désorganisée se reflète dans ses vêtements et dans ses yeux décolorés. J’habite en banlieue. Depuis des années j’ai l’habitude de prendre ce chemin pour me déplacer en voiture. Pour traverser cet arrêt d’autobus cela ne dure que quelques instants. Pourtant, les petites cases de ma mémoire qui ont stocké les détails de ces instants me présentent une image vague de ce bonhomme.
Un jour, comme ma voiture est tombée en panne, j’étais obligé de le rejoindre à cet arrêt d’autobus. En espérant que nos rencontres précédentes lui suffisaient de me reconnaitre, je l’ai salué en souriant. Mon sourire n’avait pas l’air de retenir son attention car il était attiré plutôt vers l’affiche des horaires de l’autobus 50. Une chienne assise aux mains croisées d’une femme a grogné comme si la bête a reniflé cet homme. La dame l’a calmée. En regardant les yeux de la dame on se demande : « Qui a grogné ? La dame ou bien la chienne ? » Au bout de quelques minutes, il regarda sa montre. Son geste de secouer les mains, on dirait qu’il allait jeter sa montre. Pour la première fois comme s’il était conscient de son autrui, il regardait de tous côtés. Puis, d’un air décisif, il se dirigea vers moi.
-Vous avez l’heure ?
-9h30.C’est l’heure. L’autobus va arriver.
-Merci ! Vous êtes de l’Inde ? Il m’a demandé avec un accent sri-lankais.
-Oui. De Pondichéry. Je vous vois souvent ici à cette heure-ci ! Et vous ?
-Yazpanam (Srilanka). J’habite aux alentours.
La conversation s’arrête. L’autobus arrive. Il monta l’autobus et présenta son billet au conducteur. Peut-être un coupon mensuel. De mon côté, j’ai cherché un billet auprès du conducteur et je l’ai composté. J’ai vu l’ami sri-lankais déjà bien installé. Je suis allé prendre le siège en face de lui. Ses pensées étaient ailleurs. Mon regard était rivé sur lui. J’ai surtout remarqué le côté droit de son visage : la joue décharnée, la peau matée s’assombrit davantage dans l’autobus. Son indifférence m’a beaucoup éprouvé. Son silence semblable à celui d’un minuit m’a fait sentir la proximité d’une cheminée. Sa façon de m’ignorer m’énerve davantage. Je me demande pourquoi il me rejette. Ce qui suscite ma curiosité envers lui. J’ai décidé de faire quelque chose pour le mettre mal à l’aise. Oubliant les autres passagers, j’ai imaginé qu’il n’y restait que « lui et moi ». Cette imagination me facilitait à faire ce que je voulais. Et voilà, nous sommes seuls dans une arène de boxe. Il n’y a aucun spectateur pour nous applaudir. Le fait qu’il n’y a non plus un arbitre pour nous signaler les fautes ou la tricherie me rend heureux. J’ai fait exprès de m’étirer les pieds jusqu’à lui. Le souffle de mes pieds devrait remuer sa peau. Ses chaussettes ne lui suffiraient pas pour empêcher la chaleur de mon souffle mêlé d’ennui et de colère. Ses pieds noués restaient immobiles sous son siège. Je touche la pointe de ses chaussures avec la mienne. Il se retire les pieds et me regarde. Je déteste son regard compatissant. Au début il a l’air de me fixer droit dans mes yeux. Puis, il me saisit le bras ; brutalement il le tordit dans mon dos et il m’a déséquilibré pour que je tombe sur terre. J’avais déjà perdu. Ma chemise était trempée de sueur ; j’étais stupéfait. N’osant plus le voir, je me suis allongé sur mon siège, les yeux fermés. Mes pieds recoquillaient sous le siège. Je l’ai suivi discrètement. Une sorte d’indifférence a traversé subitement à travers sa bouche. Il me restait peut-être une demi-heure de trajet. Est-ce qu’il fallait toujours continuer ce drame ? La question m’a incité à le revoir. J’étais debout. Je me sentais devant le miroir. Il était en mi- sommeil ou bien il faisait semblant. A l’arrêt prochain, acceptant ma défaite, je lui ai dit : « je descends ». Il se retira les pieds et m’a répondu : « Oui ».
Ce soir, je n’ai pas bien dormi. J’ai voulu qu’il soit à l’exclusion des autres comme moi. Mais je n’ai pu rien faire jusqu’alors. Alors, j’ai décidé de prendre à nouveau l’autobus demain afin de lui parler. Le lendemain j’étais même un peu en avance à l’arrêt d’autobus. Comme il pleuvait, les gens cherchaient à s’abriter sous le toit d’arrêt. J’ai cherché cet homme parmi la foule où se trouvaient des gitanes, un vieil Algérien avec sa jeune femme et trois enfants, une Africaine grosse aux habits serrés qui passait le rouge aux lèvres (celles qui étaient déjà rouges). Cette Africaine lança un regard furtif vers un Blanc. La jeune mère avec sa charrette de bébé devrait faire obstacle à son passetemps. Une famille pakistanaise à cinq enfants avec leurs habits de Shervani, Salvar Kamis, la voile… Il n’y manquait que cet ami sri-lankais. J’en étais déçu. Je me retirai de la foule en ouvrant mon parapluie. Le temps avança. Mon intuition m’avertit qu’il ne viendrait pas. Alors, je me suis décidé de me rendre chez moi pour prendre ma voiture. Tiens, il était là sous la pluie ! L’autobus 50 à son tour est arrivé. Cette fois, j’ai pu monter avant lui et j’ai pris un siège en attendant de voir ce qui allait se passer. Comme il m’a déjà connu, il était censé se diriger vers moi pour me saluer. Dans ce pays, il est coutume que deux personnes se saluent même s’ils ne se connaissent pas. Donc, je l’attendais. Mais rien ne s’est passé. Bien que j’aie un siège vide à côté de moi, il n’est pas venu. Déçu, je ne me souviens plus où il est descendu ce jour-là. A mon tour, je ne me souviens non plus mon arrêt.
Dix jours se sont écoulés. C’était un jour férié. J’étais au centre-ville. Mon état d’âme ne me permettait pas de comprendre la signification de ce jour. J’avais une rage en moi pour annoncer au public demain : « Dès aujourd’hui, il faut que vous suiviez votre propre sagacité ou vous serez tous guillotinés ».
Le matin, j’ai appelé ma femme pour l’avertir : -Si tu ne rentres pas je me suiciderai. N’écoute pas les autres, aie ta propre conviction !
Elle s’en moquait et répondit : -Voyons ! Pour qui tu me prends ? Je crois que tu es bourré dès le matin !
Avant de raccrocher elle rajouta : -D’abord, reprends ton bon sens !
Ne sachant quoi faire je me suis laissé errer dans les rues. J’entrais dans une brasserie. Installé dans une banquette près du guichet, j’ai commandé un Ricard. Le garçon m’a apporté la boisson avec des olives salées. J’ai fini le verre. Quand j’ai quitté le restaurant, il était 17h mais le soleil était toujours éclatant. Au centre-ville, quatre ruelles partent d’un endroit pareil à une Place. On y trouvait les boutiques de grandes marques. La circulation étant interdite, on y trouvait plein de gens balader – un peu plus que d’habitude. Les gens se sont habillés légèrement à cause de la chaleur. J’étais le seul à marcher sans compagnie. Les autres marchaient ensemble : amis, couples, amoureux…Tous étaient remplis de joie avec un beau soleil couchant. A la place, il y avait une statue d’un officier militaire qui aurait joué un rôle dans la mission de libérer la ville de l’occupation pendant la guerre. Devant la statue, un grand bassin avec les fontaines. Autour des fontaines il y a des banquettes. Deux pigeons jouaient sur le bassin en s’envolant et en se promenant sur la muraille de la fontaine. Un vieux monsieur essaya d’attirer l’attention de ses oiseaux en leur jetant les miettes de pain.
Il était là, assis sur une des banquettes près de la fontaine. Je me suis rapproché de lui et je l’ai salué :
-Bonjour !
Il était en train de fumer.
-Bonjour !
Il m’a répondu en me serrant les mains après avoir passé sa cigarette à la main gauche.
Tout d’un coup d’un geste féminin, il m’a invité de m’asseoir auprès de lui.
– Il parait que vous avez trop bu ?
– Oui, mais vous en êtes partiellement responsable.
– Moi ?
Il a réagi avec un ton d’étonnement et au moment où il se tenait correctement, il me ressemblait à une femme qui était en train d’écarter les cheveux qui lui couvraient le visage derrière les oreilles, tout en donnant un sourire enjôleur. J’étais immobile de stupéfaction pendant quelques instants. Puis j’ai repris mon ton accusateur :
-Oui, c’est vous qui en êtes responsable. Chaque fois que je m’approche de vous, vous m’ignorez. Ce qui m’a trop humilié.
Mon ivresse me fait frotter les yeux larmoyants.
-Séchez vos larmes. On nous regarde. Est-ce que vous avez une famille, des enfants ?
-Oui, j’en ai. Mais, ma femme m’a quitté pour vivre toute seule avec notre enfant. Elle se plaint de mon comportement.
-Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Elle n’aime pas que je me réveille pour arpenter toute la nuit. Cela l’ennuie. Fâchée, elle m’a quitté pour s’installer chez sa sœur ainée. Et vous ?
-Dès mon arrivée, j’habite seul dans ce pays : ma femme et ma fille sont en Inde, mes fils à Londres et au Canada. Mais il faut accepter la vie telle quelle.

Quand il a terminé la phrase, j’ai lu entre les lignes les brins de ma vie.
Prétendant de m’avoir tout lâché, il alluma une Marlboro. Ça fait longtemps que je n’ai pas fumée une cigarette de telle marque. J’ai osé lui demander :
-Une cigarette, s’il vous plait !
Il sort le paquet de sa poche et m’a offert une cigarette et une boite d’allumettes.
En allumant la cigarette, je lui ai rendu son briquet. Je me sentais que l’image de son visage se dégringolait. Les cheveux descendaient sur les épaules. L’obscurité du visage a disparu. Le visage attirant d’une femme blonde apparut. La moustache épaisse a cédé la place au duvet d’une femme. Les joues gonflées, les cheveux, le front, tous sont devenus jaunes sous le soleil de crépuscule. Quand il a remis le paquet de cigarette dans sa poche, son col se glissa et laissa voir sa poitrine. Cela m’a fait frémir. Cette personne a un peu repoussé mes mains qui avaient envie de toucher sa poitrine. J’ai attrapé ses mains et je l’ai invité :
-Venez avec moi.
-Où ?
-A mon appartement.
-On verra ! Donnez-moi votre adresse !
-Non, immédiatement. J’ai une bouteille de whisky. Discutons pourquoi il faut préférer les émotions à l’intelligence. Il parait que ce sont les émotions qui contrôlent le bon sens.
-Mon œil ! Une histoire à dormir debout.
-Non. Vous êtes comme moi, un homme hors du commun. Je suis sûr que je pourrai vous convaincre. Discutons-en longuement jusqu’à l’aube.
-Mais, laissez-moi partir. Je n’ai plus de temps.
Mais je n’ai voulu le laisser partir. Les badauds se sont arrêtés pour assister au drame. Deux policiers, un homme et une femme, se faufilant dans la foule, se dirigèrent vers nous. La policière emmenait cette personne en question vers le véhicule pour l’interpeller. L’interrogation terminée, elle est revenue vers son collègue. Elle dit quelque chose dans le creux de son oreille. Ensuite, les deux policiers m’ont conduit vers leur véhicule.
Ils m’ont demandé la carte d’identité. Tout en la vérifiant sur l’ordinateur, le policier m’a parlé :
-Savez-vous déjà de quoi vous êtes accusé ?
-(….)
-Vous vous êtes mal comporté avec une jeune fille. Vous avez tenté de toucher sa poitrine. Heureusement elle n’a pas voulu porter plainte.
-Quelle fille ?
Mes yeux se sont tournés vers la direction qu’ils m’ont signalée. Mais, c’était toujours « lui » qui était assis sur une banquette. Je me suis embrouillé.
Ce soir, j’ai regagné mon appartement. Les portes n’étaient pas ouvertes. Les fenêtres non plus. J’attendais en vain devant les portes fermées. Mon voisin venait d’arriver. Je lui ai demandé :
-N’y a-t-il personne ?
-Un couple habitait cet appartement. Tout allait bien dans le foyer. C’était un couple heureux. Il se serait passé quelque chose entre eux. Je n’en sais rien. Un beau jour elle l’a quitté. Ma femme l’a vue partir avec son bébé en taxi. Je n’ai pas de nouvelles de ce Monsieur.
-Vous ne me reconnaissez plus ?
Il a hoché la tête pour dire non.
-Bien !
Je suis descendu dans la rue et j’ai commencé à marcher.
……………
Présentée par la société américaine Apple, SIRI est une application informatique compatible à partir de l’i-Phone4. C’est un assistant personnel intelligent qui répond aux requêtes de leurs utilisateurs. Dans le quotidien du septembre 2012 a paru le fait divers : Un Américain est accusé d’avoir tué son colocataire à Gainesville (Nord de la Floride) : le motif du meurtre était d’ordre amoureux. Les policiers ont étudié les données du téléphone du suspect. Ne sachant pas comment se débarrasser du corps, le meurtre avait demandé de l’aide à… son iPhone : Où cacher le corps de mon colocataire ? Et Siri, toujours prête à rendre service, elle lui a proposé les solutions : marais, réservoirs, fonderie de métaux, décharge…
……………

De L’amour uniquement (Nouvelle) -Mireille Santo

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Mireille SantoRaja observait Savitri penchée sur son livre et lui posa la question qui lui brûlait les lèvres :¬
-M’aimes-tu ?
Elle lui jeta un regard en biais sans tourner la tête. Quelques secondes s’écoulèrent interminables et elle répondit les yeux baissés :
-Vous le savez bien !
Comme le voulait la tradition tamoule, elle le vouvoyait et ne l’appelait pas par son prénom en public. Dans l’intimité, elle s’exprimait peu, baissait la tête et fermait les yeux, les lèvres closes. Raja s’en attristait. Pourquoi cette réserve ? Cela ferait bientôt dix ans qu’ils étaient mariés et pourtant il avait la sensation de n’avoir pas réussi à l’apprivoiser.
-Non je ne le sais pas forcement surtout si tu ne le dis jamais. En tout cas je n’en suis pas sûr. Lui, la tutoyait, marquant ainsi verbalement leur proximité, il usait de mots caressants dans la fougue du désir car elle était sienne et l’appelait « tchellam » lors de leurs échanges quotidiens. Alors qu’elle, se contentait d’appliquer le protocole établi.
Le ton involontairement cassant qu’il avait utilisé la fit lever la tête vers lui.
-Vous semblez contrarié.
Elle était attendrissante avec ses grands yeux interrogateurs, elle avait si peu changé depuis leurs fiançailles : quelques fils d’argents sur sa chevelure de jais, une ride là où ses sourcils se rapprochaient et ses nouvelles lunettes ! Pour le reste elle était la même jeune femme qu’il avait vue sur les photos de l’entremetteur.
-J’aimerais juste savoir ce que je suis pour toi.
-Mon mari.
-D’accord mais au-delà de ça !
-Vous êtes la pierre angulaire de cette maison, le père de mes enfants et mon compagnon de vie, répondit-elle dévotement.
-Je ne te demande pas de me réciter ce que tu as appris mais de me le dire avec tes mots à toi.
Exaspéré, il avait presque crié. Lui, qui avait la réputation d’un homme calme, il se laissait aller à perdre ses nerfs. Pourquoi ne comprenait-elle pas qu’il avait besoin de savoir ? Qu’il avait viscéralement besoin d’être rassuré sur la teneur de ses sentiments à elle. Sa propre mère les avait abandonnés sa sœur et lui alors qu’ils étaient encore petits. Ils étaient restés tous les deux sur le bord du chemin à ramasser les petits cailloux et à l’attendre. Ils n’avaient pas pleuré car elle avait dit qu’elle reviendrait. La nuit était tombée et les lampadaires s’étaient allumés un à un et elle n’est pas revenue. Un voisin les avait reconnus et les avait ramenés auprès de leur père. Sa mère était une femme, une mère exactement comme Savitri ni pire ni meilleure et elle avait pris cette décision terrible de partir sans se retourner.
-Vous m’en demandez trop ! Je ne vois pas où vous voulez en venir. Je ne vous comprends pas, dit Savitri en ôtant ses lunettes.
Il savait qu’elle allait les remettre après en avoir suçoté la branche. Elle le faisait machinalement sans même s’en apercevoir, c’était un de ces nouveaux tics. Il trouvait cela incroyablement sexy.
Oui, il était très épris de sa femme, oui, il en était amoureux d’une manière quasi inavouable dans son milieu où ne gravitaient que des couples blasés ayant contracté des mariages de raison. Ces gens ne pouvaient imaginer qu’il puisse nourrir un amour aussi immodéré pour son épouse : cette parfaite inconnue qu’il avait choisi sur papier glacé. L’entremetteur avait froncé le nez : « Regardez les autres photos, il y a de meilleures partis et des femmes plus belles ! » Mais il n’avait pas voulu en démordre. Têtu jusqu’au bout il avait insisté faisant fi de toutes les réserves émises par ses proches. Il avait dû batailler avec sa mère qui n’avait pas trouvé Savitri assez belle et son père qui ne l’avait pas trouvée assez dotée. Sa famille avaient vu d’un très mauvais œil cet engouement qu’il avait manifesté si tôt en son endroit. Cinquante fois le mariage avait failli péricliter et cinquante fois il l’avait sauvé in extremis en priant en secret tous les dieux du ciel. Il était déjà si éperdument amoureux !
Et Il exigeait aujourd’hui de savoir ce qu’elle ressentait pour lui. Il n’allait pas abandonné cette fois-ci comme les fois précédentes où il avait reculé lâchement face à son visage opaque et ses silences qui l’écorchaient comme autant de pointes acérées.
Elle lui avait inspiré si vite et si simplement autant d’amour. Il avait été séduit, tourneboulé et métamorphosé par son apparition dans son existence. Il espérait et attendait dans les tréfonds de son cœur la réciproque.
-Tu ne me comprends pas ??? Apres dix ans de vie commune, deux enfants et tout ce que nous avons partagés, tu ne me comprends pas !!!
Il avait encore crié. Savitri avait posé ses lunettes et son livre à côté d’elle et ses sourcils n’en finissaient pas de froncer. Il imaginait nettement son armure se mettre en place, il pouvait même entendre le claquement sec de chacune des parties s’imbriquant entre elles et la recouvrant entièrement telle une carapace pour ne laisser visibles que ses yeux réduits à deux fentes sombres. C’était le moment précis où il choisissait de reculer et d’abandonner la partie.
Sa tranquillité et la paix du foyer ne méritait-il pas qu’il ferme les yeux sur ces petits détails ? Après tout, son épouse était une gentille femme, une bonne mère et une belle personne. Que voulait-il de plus ? Une déclaration d’amour enflammée comme jamais? Une étreinte passionnée dont elle prendrait l’initiative ? Qu’espérait-il obtenir en la poussant ainsi dans ces retranchements ? Pourquoi son esprit indiscipliné revenait-il toujours à la charge en lui posant encore et encore la même question : m’aime-t-elle vraiment?
-Ai-je dit ou fait quelque chose qui aurait pu vous déplaire de quelques manières que ce soit ? La question était purement rhétorique mais le ton était glacial.
Si Raja persistait dans cette conversation, il allait clairement entrer en guerre avec Savitri et c’est la dernière chose au monde qu’il désirait.
-Non, bien sûr que non ! , dit-il doucement
-Alors, pourquoi me cherchez-vous querelle ?
-Je ne te cherche pas querelle, je ne veux pas me disputer. Je veux juste savoir.
-Notre vie telle qu’elle est ne vous convient-elle plus ? Peut-être regrettez-vous vos choix ?
-Non, ce n’est pas ça du tout ! Tu ne comprends pas…
-C’est sûr que je ne vous comprends pas!
-Je veux juste que tu répondes à une seule question par oui ou par non. Est-ce trop demander ?
-Vous cherchez la petite bête ! Et elle descendit du lit dans l’intention de quitter la chambre. Si elle sortait de la pièce, elle aurait encore gagné et lui se consumerait de frustration et de tristesse.
Raja ferma la porte de la chambre et fit volteface. Elle était là juste devant lui, un peu surprise de n’en avoir pas déjà fini. Il lui prit les mains avec toute la tendresse dont il était capable et lui demanda en la regardant droit dans les yeux :
-Est-ce que oui ou non tu m’aimes ? Il espérait que pour une fois elle ne tergiverserait pas et qu’elle n’éluderait pas ses questions par des pirouettes dont elle avait le secret. Et qu’enfin il obtiendrait une certitude, quelque chose de tangible.
Il y eut un moment suspendu car tous deux pressentaient que rien ne serait plus tout à fait comme avant. Savitri chercha ses mots et les déposa avec douceur dans le silence épais qui les entourait.
-J’ai de l’attachement pour vous…de la tendresse. Je ne recherche pas l’intensité. J’accomplis mon devoir d’épouse.
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Un calcul erroné (nouvelle tamoule) – Malan

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– Traduit du tamoul par Krishna Nagarathinam

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Malan : maalanConnu sous le nom de plume de Malan, Malan Narayanan ne lé 16 septembre 1950 à Sri villiputhur, au Tamilnadu en Inde, est écrivain, journaliste, éditeur de nombreux magazines tamouls, y compris un magazine internet et rédacteur en chef des télévisions régionale. Et, il est actuellement un des membres de la Sahitya Akademi – une institution littéraire indienne.
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Un calcul erroné

                               – Malan

 

« Quand est-ce qu’il va venir, thatta (papi)? » s’impatientait Janani.

Elle avait une question non seulement importante mais absolument nécessaire à lui poser : l’opération de son calcul était-elle correcte ou pas?

Janani regarda la feuille de réponse pour une énième fois. Une ligne rouge barrait le calcul et en marge il y avait un gros zéro. A 4 ans, elle était assez intelligente pour comprendre que cela signifiait que la réponse n’était pas bonne.

 
Mais comment peut-on dire que sept fois deux égal à quatorze est faux ? C’est ce qu’elle ne comprenait pas.

 
Ce n’était que le mois dernier que Janani avait fêté son quatrième anniversaire. Pour son âge, on pouvait dire qu’elle était précoce. Elle ne pouvait rester sans rien faire. Alors que ses mains faisaient quelques bêtises, sa bouche était constamment engagée à poser des questions : pourquoi la mer est bleue? Pourquoi les arbres sont verts ? D’où viennent les guirlandes en papier? Est-ce qu’une vache peut attraper un rhume, si elle est trempée par la pluie? Comment un ordinateur peut tout savoir? Dieu, est-il un ordinateur ? Et ainsi de suite.

 
Répondre aux questions de Janani était comme jeter la pierre sur une ruche. Vous pouviez répondre à une ou deux questions, mais si elle en posait sans cesse, comment l’éviter? Par conséquent, dès qu’elle s’approchait, son père lui disait: « ne me dérange pas»; s’il s’agissait de sa mère, sa réponse était : «tu n’as pas le droit de parler de cette façon».

 
Par contre, son grand-père avait les réponses à toutes ses questions. Et il ne se lassait pas de lui répondre. Au moment de donner sa réponse, il semblait être ivre de joie comme s’il était devenu un enfant. Petit à petit, le grand- père avait appris à sa petite fille de certaines astuces pour trouver la réponse sans la moindre question. Il lui avait demandé également de penser différemment pour qu’elle ait la réponse. « Tout peut paraitre autrement si on le voit sous un angle différent » disait-il. Il tapa le chiffre ‘7’ sur la calculatrice et demanda à sa petite-fille de le prendre pour la lettre ‘L’en tenant la calculatrice à l’envers. De la même manière, il lui demanda de prendre le chiffre ‘3’ pour un ‘E’, le chiffre ‘Zéro’ pour la lettre ‘O’ et la lettre ‘I’ pour le chiffre ‘1’.

 

Peut-être le grand-père pourra m’expliquer pourquoi ce calcul est faux?

 
En voyant la feuille de l’épreuve, le grand-père s’énerva:
« Zéro! Pourquoi? Quelle était la question? Si tu as la feuille de questions, donne-la-moi.»

 
Prenant la feuille dans la main, il commença à lire à la haute voix:
« Il y a sept jours dans une semaine donc combien de jours y’a-t-il dans deux semaines? »

 
Il déplia la feuille de sujet et y voyait: 7×2=14.

 
Mais sur le problème il y avait une ligne rouge de sa maîtresse et à côté, dans la marge, un gros zéro.

 
« Thatta! Est-ce faux ? Si c’est faux, pourquoi? » Interrogea Janani.

 
« C’est ce que je ne comprends pas! » répondit son grand-père.

 

*****

Le lendemain, le grand – père alla voir la maîtresse de sa petite fille à l’école. Il lui montra la feuille de réponse.

 
« Pouvez-vous me dire ce qui ne va pas dans cette réponse?»

 
« Certainement. Elle est fausse »

 
« Comment cela? »

 
La maîtresse leva la main pour lui couper la parole et répondit :
«Je vais vous expliquer. Nous avons fait ce calcul en classe ».

 
«Par quelle méthode?»

 
« Une semaine compte7 jours, donc dans deux semaines il y’a 2×7=14 jours ».

 
«D’accord, mais si l’enfant veut écrire 7×2=14, est-ce faux?»

 
« Absolument! Il faut écrire comme on l’enseigne en classe. On a appris que 2×7=14, et donc écrire 7×2=14 est incorrect».

 
« Mais Madame, c’est injuste! » s’écria le grand-père avant d’ajouter:«Je vais voir le Directeur ».

 
«Allez-y ! » La réponse de la maîtresse était arrogante.
********

 
Le directeur avait remplacé ses lunettes par une paire de lunettes de lecture et étudia la feuille d’examen et la feuille de sujet, l’une après l’autre pendant quelques secondes. Il écouta attentivement la parole du grand-père. Puis il fit venir la maîtresse de Janani. Elle se présenta aussitôt comme si elle s’y attendait, avec un cahier à la main.

 
« Madame, c’est quoi cette histoire ? » lui demanda le directeur.

 
« Monsieur, on a déjà montré en classe comment résoudre ceproblème. » dit-elle en posant le cahier qu’elle tenait sur la table du directeur et en ajoutant « mais cette élève n’a pas répondu à la question comme on lui a appris »

 
Le grand-père se met en colère. « On ne peut pas dire que 7×2=14 est faux à cause de cela! »

 
« Il ne faut pas le prendre comme ça, Monsieur! Le but de cette épreuve est de savoir avec quelle attention un élève suit la classe » se défendit la maîtresse.

 
« Je suis désolé, Monsieur. Avec cette information, on peut déduire que votre petite-fille ne fait pas suffisamment attention en classe. Vous devriez être plus strict avec elle » dit le directeur de l’école.

 
Le grand-père se leva brusquement, poussant sa chaise en arrière.
********
Cela faisait plus de deux heures que le grand-père attendait sur un banc pour rencontrer le recteur. Il passa le temps en regardant des liasses de papiers posées sur le banc du couloir faire l’aller-retour dans le bureau du recteur afin d’obtenir sa signature. Le recteur l’appela lorsqu’il était sur le point de partir, après avoir fini toutes ses tâches.

 
« Bonjour Monsieur. Je suis pressé, donc vous n’avez que 5 minutes pour me raconter toute votre histoire» lança le recteur, lorsque le grand-père entra dans la pièce.

 
Alors que le grand-père se hâta de raconter ce qui était arrivé, le recteur lui coupa la parole.

 

« Ce n’est pas de notre compétence, la maternelle »

 
« Peut-être, mais ne voyez-vous pas d’injustice? »

 
« Comment? »

 
« Donner un zéro pour une réponse pourtant correcte !»

 
« On ne peut pas dire que votre petite-fille a complètement tort, on pourrait même dire qu’une partie de sa réponse est correcte. »

 
Le grand-père a pris quelques secondes pour réfléchir :
« Pouvez-vous me donner une attestation disant que la réponse de ma petite fille est correcte au moins partialement ?»demanda le grand-père.

 
« Une attestation? Pour dire que 7×2 égale à 14? »

 
« Non, mais… »

 
« Écoutez ! Premièrement, cela ne relève pas de ma juridiction. Deuxièmement, Gandhi lui-même a dit que « la fin est dans les moyens », n’est-ce pas ? ».

********

 
Sur le chemin du retour, le grand-père pensa à aller voir le ministère de l’éducation, mais il lui était difficile de décider. Pour l’instant, il était préférable de parler aux parents de Janani avant d’aller plus loin. Les parents de Janani pourraient croire que demain ce sera leur fille, seule, qui en subirait toutes les conséquences et pourraient lui en vouloir, songea-t-il. Cependant, comment peut-on être simple spectateur lorsque quelqu’un se montre injuste envers un enfant ? Un homme sensible comme lui ne peut pas rester inactif, pensa-t-il.
Le soir même, quand tout le monde fut réuni à table, le grand-père décida d’aborder le problème.

 
«Oui, sa maîtresse a tort, mais pourquoi diable notre fille n’a pas suivi la méthode apprise en classe. « dit le père de Janani.

 
« C’est vrai, elle n’a pas fait comme on lui a appris, mais est-ce une faute pour autant? » répondit le grand-père.

 
« Pourquoi n’a-t-elle pas écrit ainsi? » demanda la mère de Janani.

 

« Ça, il faut le lui demander. » commenta le grand-père.

 

« Janani ! » le père de Janani l’appela d’une voix stricte.

 

« Oui papa ! » l’enfant vint en courant.

 
« Si une semaine comprend sept jours, combien de jours comptent deux semaines ? »

 
« Pourquoi pose-t-il la question de la maîtresse ? » pensa Janani, confuse. Après un peu d’hésitation « 14 ! » répondit-elle.

 

« Comment?»

 
« Sept fois deux est égale à quatorze.»

 
« Comment cela 7×2? Dans une semaine, il y’ a sept jours, donc il faut faire deux fois sept, non? »

 
« Non thatta (Papi)! Une semaine se compose d’un dimanche, d’un lundi, d’un mardi, ainsi on a sept jours. Maintenant dans deux semaines, nous avons deux dimanches, deux lundis … » Janani continua à ouvrir ses doigts « tous les sept jours viennent deux fois et donc 7 x 2 » termina-t-elle.

 
« Superbe » s’écria le grand-père. « C’est une réflexion différente. Alors que toute la classe s’est conduite comme un mouton, à l’aide de ton cerveau, tu as résous le problème. C’est l’esprit de créativité ! Voilà l’intelligence ! » Dit le grand-père rempli de joie.

 
« Appa (Papa)! Il n’y a pas raison de célébrer. C’est plutôt le contraire. « rétorqua le père de Janani.

 
« Que dis-tu ? »

 
« Janani n’est pas garçon, c’est une fille, ne l’oublies pas! Si une fille ne réfléchit pas comme on lui apprend, quand elle deviendra adulte, elle posera trop de questions. Plus tard, nos traditions, nos rites ainsi que nos croyances, tout sera questionné. C’est elle qui sera blessée par cette pensée différente si elle n’arrive pas à parvenir à un consensus ou à un compromis avec le reste du monde. Non seulement elle, mais d’autres aussi souffriront par son attitude. »

 
« Et donc.. »

 
« Janani, tu dois faire comme ta maîtresse t’a appris. Évite d’être trop intelligente » dit le père en se levant de sa chaise.
Les yeux du grand-père étaient posés sur la petite pendant un certain temps puis il l’a pris dans ses bras, en larmes.
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La rumeur(nouvelle) – Nagarathinam Krishna

Par défaut

(Cette nouvelle a été publiée il y a un an dans un magazine littéraire tamoul nommé ‘Kalacuvadu’ sous le nom « Kudaï râttiam ». Aujourd’hui, étant inspiré par le mot ‘rumeur’ lorsque j’ai traduit cette nouvelle en français, j’ai décidé de le renommer ‘La rumeur’)

 

C’était le bâtiment de la Chambre de Commerce qui se trouvait sur le coté droit de la route principale. Il s’était métamorphosé en raison de son attente de nouvel an et de Noël. Cachées sous un verre épais, les lampes électriques du sentier étaient heureuses d’habiller le bâtiment comme témoin : rouges, verts et jaunes dorés, suivant un ordre préétabli. Sur l’espace, entre la route et le bâtiment qui était habituellement destiné aux participants des pays étrangers, cette année, il y avait des stands de la Russie. Les gens s’y bousculaient pour la vodka. En raison du froid glacial, ils la buvaient sans tarder afin de dénuder le froid de leur corps.

De l’autre côté de la rue, une explosion de joie s’était déclenchée, suivie d’un sifflement aigu rappelant une locomotive d’antan. Elle venait d’un manège installé à l’occasion des fêtes de fin d’année. Mais, sous la neige, la rumeur devenait moite à son passage. Ce n’était rien d’autres que des hurlements d’enfants, qui chevauchaient sur le dos d’animaux en bois. Une fois monté, le cri commençait à sourire et se transformait en couleurs.

– Papa. Papa ! Tu vois ce qui se passe ! Lança, en éclatant de rire, une petite fille a son père tout en laissant partir la main qui entourait le coup d’un animal.

– Non… Non ! Ne fais pas ça ! répondit son père avec une certaine inquiétude.

– Voilà ! Mon avion décolle !  annonça un garçon avec fierté.

– Cet éléphant est petit, j’en veux un plus grand, comme celui-là, là-bas !  Se plaignit un autre garçon.

– Ce sera pour prochaine fois, maintenant fais un tour ! Essaya de le convaincre sa maman.

– Gabriel, ne lâche pas, accroche toi bien! dit une vieille dame à son petit fils. Elle était bossue, avec des cheveux blancs qui ressemblaient à des fils de coton. On pouvait  lui donner quatre-vingts ans. Son visage paraissait abîme, pourtant on y voyait la présence d’une joie insolite.

 Hommes, femmes, vieux, tous ceux qui y étaient, portaient des vêtements chauds afin de mieux se protéger de l’hiver. Des bonnets en laine recouvraient les tètes des enfants, haut en couleur.  Autour de leur cou, on voyait des écharpes assorties.

Elle se hâta entre les lumières; dans sa tête, les pensées coulaient comme de l’eau qui s’étendait sur un terrain mouillé. Quand elle regardait le passé, le jour comme le temps ne s’entendait pas entre eux, pourtant ils lui paraissaient presque semblables. Le fleuve du temps se borne à courir en tourbillonnant entre deux rives de l’éthique de l’Univers. Au fond, il n’y a rien pour dire qu’ils sont indifférents. Toutes les relations d’hier, à peine sorties de la scène, sont démaquillées.  Elles partent vers une nouvelle direction, tout en cherchant un nouveau contrat, un nouveau metteur-en-scène, un nouveau script et bien entendu un nouveau maquillage. Mais ces scènes préférées d’autrefois, continuaient à se rapprocher puis à s’éloigner dans un éclat de rire à l’image d’un jeu d’enfants. Cela faisait un bon nombre d’années, depuis qu’ils avaient chacun fondé leurs propres foyers, que chacun était parti vers un nouveau chemin de vie alors que naguère tout (manger, dormir, jouer) se passait sous le même toit, sur un seul point. Elle venait enfin de recevoir une lettre de sa sœur aînée, après un intervalle de 15 ans : j’ai parlé à nos frères, ils ne veulent rien nous donner, même pas une parcelle de terrain. Mon mari a l’intention de les poursuivre en justice. Il ne changera pas d’avis. Mais c’est une démarche à faire par nous deux, je te demande donc de remplir ce formulaire puis …

        Pandi akka (sœur ainée) ! Que faites-vous ici ?

Elle ne pouvait plus marcher par la suite. Elle savait bien que cette voix appartenait à Kalyani. Qui d’autre aurait pu l’appeler ainsi, en tamoul, avec une telle élégance? Elle tourna la tête.

–  VaNakkam (Bonjour) ! la salua Kalyani en souriant, ses dents blanches illuminant  son visage noir. Elle était habillée d’une longue veste noire et portait à l’épaule gauche, serrée par l’avant bras, un sac en bandoulière de cuir noir. De temps en temps, sa main droite montait de façon brusque au niveau de son nez pour s’essuyer avec un mouchoir en papier.

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Comme elle, Kalyani était aussi Tamoule. Mais si elle, venait de l’Inde, Kalyani, venait du Sri Lanka. La courageuse Kalyani avait quatre ou cinq ans de plus qu’elle, cependant elle l’appelait ‘sœur ainée’. Leur première rencontre avait eu lieu dans un bus. À l’arrêt, une dame pondichérienne qui était jusqu’alors en train de partager des ragots avec elle, venait de descendre. Kalyani, assise en face, comme si elle n’attendait que ce moment, se pencha vers elle et lui demanda poliment, avec un sourire complice :

– Akka (sœur ainée) puis-je me permettre de vous poser une question ?

– Oui.

– Votre conversation de tout à l’heure… vous n’auriez pas pu l’échanger en tamoul ?

Oui, je l’admets. Mais lorsque l’on vit dans un pays étranger, nous nous devons d’apprendre à vivre selon le civisme exigé par ce pays, n’est-ce pas? De plus, nous sommes dans les transports en commun, comment oser parler en tamoul ?

– Je suis d’accord avec vous sauf sur un point.

– C’est- à- dire ?

– D’après vous, parler en tamoul devant les autres, ça ne se fait pas. C’est sur ce point que je diffère complètement de vous.

Elle venait de tomber dans le piège tendu par la femme d’en face. Elle rougit.  

                  Je comprends.Répondit-elle par un sourire avec lequel elle n’avait pu le déjouer.

Ce jour-là, leur discussion prit son terme à ce point. Par la suite, ils avaient l’occasion de se croiser par hasard.

 

                               ********

 – Akka, je m’en vais. Il faut être à l’heure ! J’ai déjà un quart d’heure de retard. C’est difficile de convaincre mon patron ! dit- elle.

Elle poursuivit son chemin en agitant sa main en l’air. Lorsqu’elle marchait en boitant, on pouvait voir sa tête écharpée qui sortait de l’affluence festive à intervalle régulière. « Akka, les cicatrices disgracieuses laissées par l’armée indienne sur mon corps me torturent toujours » lui confia-t-elle lors d’une conversation, les larmes aux yeux. A partir de ce jour-là, chaque fois qu’elle rencontrait Kalyani, elle éprouvait des remords.

                  « Pardon ! »-  Une vieille dame venait de la bousculer accidentellement et lui demanda pardon. Celle-ci pensa que c’était de sa faute et voulait s’excuser auprès de la vielle dame mais elle s’était déjà noyée dans la foule. Chaque année, elle voulait visiter le marché de Noël qui s’installait autour de la cathédrale. Ce n’était que cette année-là qu’elle avait enfin pu réaliser son souhait. Un mois auparavant, elle avait décidé de mettre un dimanche à sa disposition. La voie qui se dirigeait vers la cathédrale se trouvait sur le côté gauche de la rue principale. C’était une rue pavée, préparée soigneusement et assez large pour avaler la foule. Mouillée par la neige, la voie avait l’allure du miel frais, envahie par les piétinements des touristes, surtout des touristes étrangers. Il neigeait encore comme si quelqu’un avait renversé un panier rempli de jasmin. Tout en suivant la direction du vent, les flocons de neige se baladaient quelques instants dans les airs puis revenaient sur terre comme le voulait le cercle de la vie. Certains fondaient aussitôt, d’autres attendaient leurs tours.

La foule s’avançait avec hâte, s’arrêtait devant la Cathédrale. En effet, jusqu’à huit heures du matin, les véhicules avaient la permission de circuler. Il s’agissait des véhicules de livraisons de colis aux magasins. Ensuite, les visiteurs commenceraient à venir jusqu’à minuit. Ils basculeraient leur tête en arrière pour regarder les tours de la Cathédrale et se pétrifieraient de sa splendeur. Ils essaieraient de la convertir en images avec leurs appareils photos. On pouvait voir des touristes asiatiques venus de Chine, de Corée du sud, avec les cheveux hérissés, le visage rond, les yeux bridés et les lèvres minces. Ils descendaient de leur bus brusquement comme un essaim d’abeilles. Devant chaque groupe, il y avait toujours une femme ou un homme pour les guider en conversant dans leur langue, tout en levant un parapluie de la main.

                                    *******

 Ça s’est passé la semaine dernière. Il était onze heures du matin. Ayant passé  toute la nuit devant la télévision, elle n’a pu s’endormir qu’à l’aube. Les fenêtres fermées, le silence de la chambre lui avait donné envie de dormir un peu plus longtemps que d’habitude. Elle venait de se retourner sur le dos et tentait de se cacher sous la couette, lorsque soudain la sonnerie de la porte se mis à hurler, comme s’il y avait  un incendie. Cette sirène inattendue avait déchargé en elle une sorte de tension nerveuse. Généralement, personne ne venait la voir à cette heure-ci, surtout un dimanche.

                  Peut-être que c’est Mourouguessanne ? , s’interrogea-t-elle. Cela faisait six mois qu’il l’avait quitté. Elle se leva de son lit et pris une petite minute pour mettre en ordre sa chemise de nuit. Elle attacha ses cheveux en chignon, alluma la lumière et marcha vers la porte. La sonnerie retentit une deuxième fois. Cette fois elle en était certaine, il s’agissait bien de Mourouguessanne.

                  Tu sais bien que je n’ouvre pas la porte si tu te conduis de cette manière ! lui dit-elle en ouvrant la porte. Elle fut frappée par une odeur âpre. De bon  matin, il était complètement  saoul et nerveux, Elle était fâchée.

        Que veux-tu ? demanda-t-elle.

        Je ne veux plus rester avec elle. Je suis venu pour vivre avec toi. Toutes mes affaires sont dans ma bagnole, puis-je les apporter ?

        Non, je ne veux rien entendre, c’est fini entre nous.

–   Tu ne me laisses pas entrer ? Est-ce normal de continuer la conversation de cette façon ?

Non, c’est non ! J’ai un ami chez moi, il dort toujours, on ne devrait pas le déranger.

C’était un mensonge qu’elle avait inventé pour éviter sa nuisance, mais il était devenu fébrile.

– Ami, comment ?

– Comme tu le vois !

– Salope ! Avait-t-il aboyé comme un chien dont on avait marché sur la queue.

Son état d’ivresse avait facilité la tâche, elle avait refermé la porte d’un coup sec en le poussant dehors.

                                          *********

La taille des stands était de 2×4 mètres. Entre les stands, il y avait un passage assez large pour les visiteurs, sans empêcher les ventes. La plupart des stands vendaient des objets décoratifs, des cadeaux faits à la main qui symbolisaient Noël.

                  C’est un pot en cire ! Tout ce vous voyez : la plante, les fleurs sont également en cire ! De plus, il est enveloppé d’une feuille de métal pour mieux tenir. Une beauté de plus pour votre table ! expliquait la jeune vendeuse aux personnes devant elle.

          Elle tenait dans sa main un pot coloré. Le couple anglais attendit patiemment d’entendre tous les renseignements avant de dire enfin : « We don’t know French » et s’en allèrent. La douleur présente à son épaule droite lui fit changer le positionnement de son sac et sa main droite se refugia dans son manteau en laine.

                  Bonnets ! Bonnets ! criait un africain qui vendait des bonnets en forme de cigognes. Avec tous ses bonnets sur l’avant-bras, et coiffer lui-même d’un bonnet en forme de cigogne sur la tête, avec un long cou, un bec jaune, les pattes suspendus de chaque côté, il avait une drôle d’apparence. Elle aussi, a d’abord pensait qu’il s’agissait d’un vrai oiseau, puis a tout de suite réaliser que c’était un bonnet. Cette découverte la fit sourire. Au deuxième stand, elle vit des gens aux mains tendues qui se bousculaient.

                  Deux vins chauds, un jus d’orange, trois tartes flambées, s’il vous plait ! un jeune homme listait les besoins de sa famille. 

                  Monsieur, voici votre jus d’orange, dit une jeune vendeuse à un vieux monsieur.

                  Non mademoiselle ! Je t’ai demandé un vin rouge ! répliqua t-il aussitôt.

La jeune vendeuse se tourna vers son collègue et lui chuchota de préparer un vin chaud.

                   Attends un peu ! Je n’ai pas quatre mains ! répondit-il, agacé.

Elle quitta la scène avec le sourire au coin des lèvres et s’avançait lentement tout en peignant le paysage féerique.

                  Laurent ! Arrête, arrête ! Ne cours pas ! Une jeune mère criait fort, voyant son enfant courir entre les pieds.

 

Elle fit un grand pas pour attraper l’enfant et le rendit à sa mère. Vive le vent…Vive le vent… c’était la chanson que l’on pouvait entendre par les haut-parleurs de la patinoire et qui résonnait à l’aide du vent du nord. Un jeune couple dansait au rythme de la musique sur la piste. La foule s’avançait en leur laissant la place pour danser. Elle se trouvait devant la patinoire. On pouvait dire qu’il n’y avait pas d’âge pour le faire, toutes catégories confondues étaient en train de patiner. Les lames des patins à glace s’illuminaient lorsque les amateurs patinaient. Ce spectacle l’attira d’avantage.

Il neigeait toujours, pourtant, les organisateurs avaient fait en sorte que la piste de la patinoire soit à la température idéale. Autour de la patinoire, il y avait des mimosas dénudés. Sur leurs branchettes, des guirlandes de lampes luisaient et transformaient le paysage en or. Tandis qu’un jeune couple patinait main dans la main, un groupe d’enfants patinait les mains posées sur l’épaule de l’autre. Un adolescent glissa comme une flèche et s’arrêta soudain tout près de quelques filles comme s’il voulait les heurter. Les jeunes filles de leur côté lui lancèrent des boules de neiges et firent semblant de se fâcher. Une fillette fila comme un aigle, même une dame noire parvint à patiner joliment. Appuyer contre la balustrade, un couple amoureux s’échangeait des baisers, tout en ignorant la présence des autres.

Elle avait envie de patiner. Elle fit la queue et paya cinq euros pour une paire de patins de taille 38. Elle glissa ses pieds dans les patins et les laça. Elle boita en sortant du vestiaire, mais à quand même pu parvenir à atteindre l’espace de patinage en traversant les deux petites portes battantes. Au moment de se lancer sur la piste, elle eut l’impression que certains des patineurs tournèrent la tête vers elle. Elle hésitait à poursuivre son aventure, le poids lourd des yeux curieux la perturbait et lui donnait des frissons. Elle tenta de lire leur opinion sur leur visage, mais leur attention était ailleurs, même ceux qui la regardaient par hasard semblaient être indifférents. Ils continuaient à patiner avec entrain. Lorsqu’elle se décida à se remettre à son aventure, elle s’avança, en se tenant à la balustrade de la main droite. Malgré toutes ses précautions, ses pieds se tordirent, elle bascula en arrière et tomba à la renverse.

                   Madame attention ! Un jeune homme, qui était juste derrière elle, lui tendit sa main. Elle avait honte de ce qui s’était produit. Elle n’avait pas d’autre choix que de donner sa main et de se lever. La pudeur en elle l’empêcha de le regarder droit dans les yeux, peu importe, elle a pu murmurer ‘merci’. Elle n’était pas capable de se tenir debout, elle senti une forte douleur à la hanche et aussi sur la colonne vertébrale. Elle faillit tomber à nouveau, heureusement la balustrade était là pour l’aider à se tenir droit. Ayant compris la situation, le jeune homme appela l’équipe des premiers soins qui était à proximité. Ils étaient deux, un homme et une femme. Une fois arrivée sur place, ils l’ont emmené dans leur cabinet, situé dans une tente installée provisoirement et lui ont demandé si elle pouvait s’asseoir toute seule.

                  Je vais essayer, répondit-elle, puis elle passa à l’acte et réussit.

Ils firent bouger ses jambes, droite et gauche, doucement, et les examinèrent avec soin. Ils apprirent les endroits exacts de douleur par l’expression de son visage en touchant et en donnant un coup de spray pour la soulager. L’ambulance venait de s’arrêter. Les ambulanciers sortirent un brancard et la firent s’allonger dessus. Alors qu’ils se dirigeaient vers l’ambulance, elle vit le jeune homme agitait sa main en signe de bonne volonté. L’ambulance quitta la Cathédrale, après avoir fait un tour et descendit dans la rue principale, quand elle entendit  à nouveau la rumeur venant du manège.

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UN VOYAGE D’AMOUR – (Nouvelle) – Jeyaraj Daniel

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DanielIl n’était que trois heures de l’après midi. La gare routière était bondée. Quelle pagaille ! Le soleil brillait, pas un seul nuage ne se montrait au ciel. Une chaleur accablante vous donnait l’envie de prendre une boisson fraîche. De petits garçons importunaient les voyageurs, utilisant tout leur astuce pour vendre leurs marchandises minables. Cahoté par les remous de la foule, je parvins à trouver le bon numéro, l’autobus était là, attendant sagement son chargement de passagers. Quelle idée de partir la veille de Diwali ! J’achetais le ticket sur place et cherchais la bonne place, celle que je préfère comme d’habitude près de la fenêtre ; mais ma chance se trouve toujours tout au bout à la dernière rangée. Tout d’un coup, le ciel se chargea : la pluie s’annonçait.

C’est avec dix minutes de retard, en raison des pluies incessantes dans les banlieues, que l’autobus s’ébranla. « Si vous n’aimez pas le temps, attendez dix minutes » dit-on en Nouvelle-Angleterre. Et les Indiens considèrent la tolérance comme une vertu suprême.

Les arbres ainsi que les petits pavillons de banlieue, défilaient à la fenêtre; une bruine couvrait la route et le vent propageait le parfum de la route mouillée. Petit à petit, la pluie commençait à tomber drue et continuait à abattre le vent. Les voyageurs sont heureux de sortir de la chaleur. Ils poussent un soupir de soulagement.

En les voyant déboutonner leurs chemises, à cet instant, me vint à l’esprit un conte tamoul  où le Vent reprocha au Soleil d’être faible et d’avoir une vie éphémère et le défiait dans une épreuve de force  –  celui qui fera enlever à un jeune, tiré à quatre épingles, au moins son veston sera le vainqueur. Hélas, c’est le Soleil qui sortit victorieux en obligeant le jeune homme à ôter sa chemise. Le Vent y échoua. Quel paradoxe !

Bercé par la brise, je pris mon livre et m’abîmais dans la lecture, indifférent au bruit monotone du roulement. Petit à petit, la nuit enveloppait la campagne. La pluie incessante inondait les rizières.

La montée et la descente de quelques passagers, au premier arrêt, causèrent quelques courants d’air. Le voyage reprit ses droits, au milieu des routes uniformément couvertes de flaques d’eau.

Il était huit heures moins le quart lorsque la lumière s’éteignit. Très progressivement, l’autobus ralentit. Le silence s’était établi, les passagers retenaient leur souffle, tous les regards étaient dirigés sur la route où s’alignaient tous les moyens de transport. Les voyageurs s’impatientaient de rentrer chez eux pour fêter le Diwali. La machine s’immobilisa. Un silence imposant que nul n’osait briser, régnait dans le bus noyé dans le noir. D’une voix rauque, le conducteur annonça :

« Mesdames, Messieurs, le service est arrêté pour une durée indéterminée, à la suite d’un accident sur la route principale. La SETC (State Express Transport Company) vous prie d’excuser cet incident indépendant de sa volonté. »

Il ne pleuvait plus, une très pâle lueur de lune tentait en vain de transpercer les  nuages. Dans une ambiance ouatée, nous étions bloqués au milieu de nulle part.

Rapidement la température monta et par voie de conséquence, la mauvaise humeur grandit. Certains râlaient, d’autres debout, récriminaient contre tous les partis politiques.

Après une heure d’immobilisation, des voyageurs, de plus en plus agressifs, fustigeaient la SETC, les pouvoirs publics, le ministre des transports, tout le gouvernement.  Ah, ça ira, ça ira, ça ira… Ces types qui enflamment le cœur des autres passagers sont comme des chiens qui ne mordent pas.

Nous fûmes quelques-uns à descendre de l’autobus, à longer le sentier étroit à travers les champs. Nous marchâmes à la file indienne, le conducteur à la tête, dans l’espoir d’un abri salutaire. Au loin une faible luminosité semblait indiquer un village, l’espoir nous éperonna. Dans le village un bistrot était ouvert. Nous nous ruâmes sur ce havre inespéré.

La stupéfaction figea les occupants du bistrot, lorsque nous fîmes irruption. Pétrifiés, ils nous regardaient comme des extra-terrestres. Des vieillards fumant des bidis faisaient un rami en s’engueulant, tandis qu’une vieille, derrière le bistrot, faisait la vaisselle.

– Vous voulez du thé, clama le patron.

Tandis qu’une douce odeur de parottas aux œufs emplissait l’air ; quelques villageois alertés par une mystérieuse rumeur, vinrent nous visiter, comme l’on visite les animaux d’un zoo.

Aussitôt réchauffés, aussitôt affamés. La femme du patron poussa la porte du bistrot avec son cabas chargé de crevettes et de maquereaux.

– Comme la vie devient chère chaque jour ! dit-elle presque gémissante.

Deux domestiques maussades se chargèrent de la cuisine; tandis qu’une jolie brunette svelte baissant les yeux sur ses menus appas, prenait en charge le bistrot.

Les plats forts appétissants furent vite étalés. Les tables furent rangées en une seule, chacun s’installa. Toutes sortes d’histoires fusèrent : à la pluie, au mauvais temps, à la SETC et même au Ministre des Transports dont on ternit la renommée  à chaque bouchée de biriyani. Lunettes sur le bout du nez, le patron surveillait la fibre commerciale qui se fit vibrer.

Le chef du village, un type qui a vendu sa conscience pour remplir son ventre, vêtu en blanc de haut en bas, vint s’enquérir de notre sort avec son équipe de partisans. Ils avalèrent des parottas et des omelettes au compte du patron et partirent, comme d’habitude, sans payer l’addition.

Le premier pétard éclata, et puis un autre, et encore un. Rappel de la fête. C’est déjà la fête de Diwali ! Chacun se rua sur son voisin lui souhaitant ‘bonne fête’. Je goûtais, à la dérobée, avec délices les douces lèvres de la jolie brunette. Le sourire que ces deux mots ‘bonne fête’ ont pu faire éclore sur ses lèvres était la plus grande récompense de mes efforts pour lui plaire. J’étais ensorcelé par la beauté odorante qui s’épanouit comme les pétales de la fleur qui s’ouvre aux ardeurs du  soleil.

Vers deux heures du matin, alors que la fête se poursuivait, le conducteur annonça le départ. Il était temps de se quitter : Bonne fête, heureuse fête, on se reverra, au revoir, à bientôt…

L’année suivante, on est revenu, moi et cette brunette – mon épouse, pour célébrer ensemble, selon la coutume tamoule, la fête de Diwali, chez mes beaux-parents, les patrons du bistrot.

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