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L’Attente d’un Papillon(Nouvelle)

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  • Krishna NAGARATHINAM

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J’attends. Une angoisse excessive, la peur, l’inquiétude, la tension, la fuite, les rituels compulsifs et donc qu’il y a tant de visages pour attendre ! Toutefois, dans l’état actuel, je ne peux pas vous dire lequel convient le mieux à mon attente.

Child, aged 4 years old, is holding a Butterfly Speckled Wood ( Pararge aegeria ) in a butterfly house.

Dans un été pareil, ensoleillé du matin au soir, je ressemble à un éclat de la dent au soleil. Mais à la tombée de la nuit, je deviendrai plutôt un gros point noir, faisant partie de l’obscurité. Souvent, je vis l’attente avec une particularité étrange de mon corps – deux paires d’ailes colorées, une tête du type pois rouge, deux antennes de fierté, une trompe enroulée – pourra vous donner une impression passagère. Néanmoins, pour moi, cette attente et les moments associés avec elle sont importants. Vous ne vous étonnerez pas si je vous dis que cette attente dure plus d’une demi-heure, plus précisément depuis qu’un vieux couple, assis sur le banc, a commencé à bavarder. C’est pour cela que, d’une manière inhabituelle, j’attends avec une fébrilité en plus. Surtout, à l’approche du soir, le cœur bat la chamade, les ailes se collent et se détachent sans arrêt tandis que le corps commence à trembler doucement.

Comme les jours derniers, il n’y avait pas d’autres papillons dans ce coin du parc. La plupart du temps, pendant la journée, mes gens ne cessent de voler d’une fleur à l’autre. Même l’abondance de nectar d’une fleur ne peut nous empêcher de voler et de nous nourrir ailleurs. Bien qu’il soit certain que, avec la joie de les avoir trouvés, on s’implantera sur des pétales, se concentrera sur la dégustation de nectar ignorant tous les autres, cette scène ne durera pas longtemps. Peu importe, aujourd’hui tout cela a perdu sa signification, cela appartient au passé. Depuis mon arrivée, je me sens seule dans ce coin de paradis. Tous mes amis et mes proches ont subi un malheur dans notre ancienne parcelle. L’absence d’autres papillons dans cette place-ci me fait croire qu’ils ont aussi été victimes du même sort.

Jusqu’à la dernière semaine, je vivais avec mes proches à l’autre bout du parc. Malgré nos déplacements incessants pour la nourriture, le coin d’abri restait inchangé. Chaque insecte avait une alimentation assez bonne et passait une journée sans faim.

Un jour, nous nous étions fait surprendre par une question de ma sœur : « Chercher des fleurs pour se remplir l’estomac, des mâles pour s’accoupler, cette vie n’est-elle pas ennuyeuse ? », et elle s’étonna en ajoutant : « Ne vous inquiétez pas pour les épreuves qui nous manquent depuis un certain temps ! ». Nous tous avions répondu « non » sans comprendre le fond du sujet. Nous laissant réfléchir, elle s’en alla. De son retour, on attendait la réponse. Ce fut à ce moment-là que la catastrophe nous frappa. Un employé municipal vint avec une sorte de bouteille de gaz sur le dos, diffusa le contenu sur nos plantes d’abris. Au cours des minutes qui suivirent, tous mes amis et proches trouvèrent la mort avec leurs ailes qui ressemblaient aux pétales de fleurs fanées et leurs corps à du lisier de souris. Je fus la seule à pouvoir survivre dans cet accident.

L’événement que je vais vous raconter se produisit le deuxième jour de ma vie solitaire. À ce moment-là, j’étais assise sur une fleur de rose et je savourais le nectar. Soudain, je sentis comme si quelqu’un attrapait mes ailes avec des doigts légers. À la suite de cela, mon cœur se mit à battre tandis que mon abdomen gonflait et se dégonflait. C’était une expérience inhabituelle et non comparable à celle que je réalisais parfois avec mon partenaire mâle ou à celle dont je jouissais en butinant le nectar des fleurs. C’est par cette expérience-là que je compris que le sens de la question de ma sœur, posée il y avait quelques jours. Mais je ne pouvais malheureusement pas en profiter davantage, car tout cela prit fin au bout de quelques minutes, lorsque les doigts se sont détachés de mes ailes et que suivit un rire comme le bruit de pièces de monnaie lancées sur un sol rocailleux. Je levai la tête et la tournai vers le propriétaire des doigts. C’était un enfant en bas âge, traîné de force évidemment par sa mère qui le tenait par la main. Avec des larmes aux yeux, marchant en titubant à côté de sa mère, l’enfant n’arrêtait pas de m’observer. Son regard imperturbable me suit même aujourd’hui. Cet événement m’apprit que la curiosité naturelle des enfants exposée à travers leur toucher est une expérience hors pair.

Immédiatement après cet événement, je découvris ce terrain de jeu avec des équipements, rempli de bruits d’enfants, non loin de là où je m’abritais avant.  Plus près, il y avait un petit bassin, avec une statuette féminine au milieu, versant l’eau d’une poterie. Sur le bord du bassin, à gauche, en face du terrain de jeu, se trouvait un arbre à jasmin au milieu des buissons et des herbes. L’arbre était couvert de fleurs. Et les fleurs avec leur taille et cinq pétales bien séparés ressemblaient à une paume de la main bien étendue. Alors je m’y installai sans attendre.
C’était le dernier après-midi de juin. Le soleil venait de se coucher à l’horizon. Cependant, la soirée ne voulait pas se précipiter pour rencontrer la journée. La chaleur accablante s’était atténuée. Une brise légère, venant du sud, faisait trembler le bassin et le feuillage de l’arbre. Après avoir frotté l’une sur l’autre mes antennes pour déposer des pollens collés dessus, j’ai laissé mes yeux se balader autour de moi. Ils devaient être récemment mariés (?). Comme les nés-jumeaux, condamné à vivre sans séparer les corps, un jeune couple passa devant moi. L’homme dit quelque chose à sa femme, mais elle prit le temps de réagir, en épanouissant ses lèvres. Elle forma un « O » tout en levant les sourcils. Après une brève interruption de son acte, elle fit semblant de brandir son poing droit en direction de son mari, au-dessus de sa tête, comme pour vouloir lui donner une tape.

Un quart d’heure plus tard, je vis quatre garçons. De par leur barbe, je conclus qu’ils étaient des adultes. Sur la tête de l’un d’entre eux, on pouvait voir sur le front un mouchoir en tissu plié en forme de triangle. Les mouchoirs des trois autres avaient été attachés autour de leurs poignets respectifs. Ils avaient un air ridicule. Les mots qu’ils prononçaient et la façon dont ils marchaient révélaient leur état. Ils avaient bu de l’alcool quelques minutes auparavant et pensaient avoir suffisamment de temps pour se divertir avant de se rendre à Chennai.

Ma préoccupation était de savoir si l’un des enfants activement impliqués dans le sport du manège, du toboggan, ne viendrait-il pas vers moi et ne renouvellerait-il pas l’expérience que j’avais eue. Au lieu de lâcher mon espoir, je me rassurai en disant que cela se produirait et je fixai mon attention sur les deux femmes d’âge mûr qui s’étaient engagées sérieusement dans une conversation habituelle pendant que leurs petits-enfants jouaient dans le jardin. Je savais de quoi il s’agissait dans leurs discussions : la belle-fille inepte, la pire femme de ménage qu’elles aient eue, la mauvaise balance utilisée par un marchand de légumes, les mauvais traitements subis la semaine dernière dans leur ancien bureau, la série télévisée qu’elles suivaient, la vie amoureuse de la fille de leur voisine, etc. Ainsi avaient-elles donc tellement de choses à raconter et à échanger. J’avais l’impression qu’elles n’arrêteraient pas leur discussion immédiatement. À ma grande surprise, l’une d’entre elles tourna la tête vers les enfants, comme quelqu’un ouvrant brusquement les battants d’une fenêtre et jeta son regard dans une direction précise.

– Ma petite princesse, peut-on rentrer ?

L’expression ‘Petite Princesse’, prononcé avec affection par la dame, attira toute mon attention. En me tournant vers les petits, j’attendis avec impatience de voir l’enfant en question.

– Grand-mère ! Je ne peux pas jouer un peu plus ? dit une petite fille ouvrant la bouche.

– Non !  Ta mère dira alors que c’est moi qui te gâte. Rentrons à la maison !

Le visage de l’enfant qui s’assombrissait montrait qu’elle désirait rester avec ses nouveaux amis. Sa grand-mère, la tenant par la main, commença à marcher, laissant sa discussion en suspens. Elles se dirigèrent lentement vers le chemin qui passait près de mon abri. Par chance, l’enfant se tourna vers moi, s’arrêta brusquement, me fixant de ses grands yeux, comme si elle voulait examiner mon âme. Ses paupières supérieures se levèrent, la cornée s’émerveilla. Ses yeux palpitèrent comme mes ailes un instant. En se débarrassant de la main de sa grand-mère, la petite princesse se précipita vers moi. Je ne bougeais pas. Avec son visage rond, ses cheveux coupés au carré, des perles de sueur à la racine des cheveux sur le devant de sa tête, sur son front, sur son cou, la fillette me livra un regard curieux, timide, attentif à moi comme quelqu’un voulant hameçonner un poisson. Je ne patientais que pour ce grand moment, plus près de moi en incurvant sa main comme un bourgeon de lotus et en se tenant le pouce et l’index comme des pinces d’un crabe.

— Ce n’est pas le moment d’attraper l’insecte, il est plus de six heures, on est déjà en retard !

C’était sa grand-mère

— Attends, mamie !

— Non ! Tu pourras l’attraper la prochaine fois. Ils traîneront toujours dans ce coin.

Entre-temps, les doigts qui touchaient mes ailes se retirèrent machinalement. La petite princesse recula et alla auprès de sa grand-mère. En me regardant fixement, elle lui dit :

— La prochaine fois, tu dois m’amener directement ici, je veux jouer avec des papillons.

— Sûr, je te le promets ! la rassura la grand-mère.

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